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Zhou Enlai. L’ombre de Mao
Gao Wenqian Paris, Perrin, 2010, 380 p.
Zhou Enlai, dont Richard Nixon dit un jour qu’il était l’une des principales personnalités politiques du xxe siècle mais vécut dans l’ombre de Mao Zedong, est un personnage énigmatique, à la fois image séduisante de la Chine sur la scène internationale et fin stratège, parfois implacable, dans les jeux de pouvoir permanents à Pékin. Premier ministre de Mao de la naissance de la République populaire de Chine en 1949 jusqu’à sa mort en janvier 1976, il fut l’un des principaux acteurs de la vie politique chinoise à des moments aussi cruciaux que le Grand bond en avant, la Révolution culturelle, ou encore ce qui restera son œuvre : le rapprochement avec les États-Unis au début des années 1970.
Militant communiste de la première heure, installé au début des années 1920 en France (où il partagea le même appartement que Deng Xiaoping et se lia avec Ho Chi Minh), son évolution politique fut placée sous le signe du compromis, comme en témoignèrent ses efforts soutenus – mais finalement vains – pour maintenir le contact avec les nationalistes de Chang Kai-shek, tandis que Mao prônait la rupture totale pendant la guerre civile. Son dévouement à la révolution chinoise fut à l’image du personnage : sans compter et sans chercher à se mettre en avant, là où d’autres bataillaient pour les honneurs, quitte à sacrifier le développement de la Chine. Pendant les années sombres de la Révolution culturelle, Zhou dût parader pour passer entre les critiques, conduites par Jiang Qing, dernière épouse de Mao. Acceptant les critiques et évitant de tomber dans les multiples pièges tendus par ses adversaires, n’hésitant pas en certaines occasions à trahir ceux qui avaient placé en lui leur confiance, Zhou résista et prépara le terrain aux nécessaires réformes qui devaient suivre cette décennie perdue. Le testament politique de Zhou, à savoir la montée en puissance de Deng Xiaoping et la mise en place de réformes pour rendre à la Chine sa dignité, s’est, trente-cinq ans après sa mort, réalisé au-delà de ses espérances.
Cet ouvrage magistral est le résultat de recherches sur des sources de première main. Son auteur, Gao Wenqian, fut en effet, pendant quatorze ans, chargé de rassembler tous les documents relatifs à Zhou Enlai pour les archives nationales chinoises, pour se présenter aujourd’hui sans doute comme le meilleur expert possible de l’ancien Premier ministre chinois. En s’attaquant aux mythes de la Chine communiste et en ravivant les démons de la Révolution culturelle, il représentait un danger pour les autorités chinoises, soucieuses d’éviter toute forme de révisionnisme, aussi la première version de son texte, publiée en chinois en 2003, fut censurée. Gao est par ailleurs un dissident, qui a quitté la Chine pour les États-Unis en 1993, après avoir été profondément choqué par les évènements de la place Tian Anmen de 1989, et qui s’est fait envoyer par fragments depuis Pékin tous les documents nécessaires à la rédaction de son œuvre. Son travail dépeint un Zhou Enlai d’une rare intelligence, capable de passer au travers des purges de la Révolution culturelle et parvenant à influencer les choix politiques de Mao y compris quand les deux hommes semblaient en rivalité.