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Who’s Afraid of China ? The Challenge of Chinese Soft Power
Michael Barr Londres, Zed Books, Asian Arguments, 2011, 160 p.
On a beaucoup glosé sur la Chine, son avenir et les peurs qu’elle engendre. Le petit livre très stimulant de Michael Barr ne se demande pas s’il faut avoir peur de la Chine, ni même – contrairement à ce que son titre annonce – qui en a peur, mais bien pourquoi nous en avons peur. Si la Chine inquiète, c’est en raison de son poids démographique, de sa vitalité économique et commerciale, de sa puissance militaire. Mais ces facteurs n’intéressent pas l’auteur, qui focalise son livre sur le soft power chinois. L’intelligibilité de l’entreprise en pâtit, en mêlant ainsi deux sujets liés mais pas superposables : d’un côté une analyse du soft power chinois, de l’autre une réflexion sur les inquiétudes qu’il suscite.
Classiquement, M. Barr s’appuie sur la définition du soft power donnée par Joseph Nye : la capacité d’influencer le comportement d’autres acteurs par l’usage de moyens non coercitifs, idéologiques ou culturels. Pour mesurer la capacité d’influence de la Chine, l'auteur se livre à plusieurs études de cas. Il évoque le développement des Instituts Confucius aujourd’hui présents dans quatre-vingt-seize pays à travers le monde, et les réactions que suscite leur implantation aux États-Unis ou au Japon. Il analyse la postérité de Zheng He (167-231) qui dirigea la flotte impériale jusqu’en Afrique orientale, incarnant tout à la fois la maîtrise ancestrale par la Chine des techniques de navigation les plus sophistiquées, sa légitimité à intervenir dans tout l’océan Indien et son exercice d’une influence internationale dénuée de colonialisme. Enfin M. Barr expose la notion de tianxia (traduit littéralement par « tout ce qui se trouve sous le ciel ») que certains auteurs chinois, tel Zhao Tingyang, entendent supplanter à l’approche westphalienne des relations internationales.
Ces exemples montrent que la Chine – à la différence de l’URSS, qui aurait succombé pour l’avoir sous-évalué – a pris conscience du déficit d’image dont elle souffre sur la scène internationale. Elle s’est dotée des moyens de le combler, en utilisant tous les ressorts du soft power : la publicité, la télévision, le cinéma, etc. Son offensive ne vise pas seulement l’extérieur : dirigée vers les cinquante-six minorités nationales que compte le pays, elle vise à les rapprocher de la majorité Han. Elle repose sur l’idée positive qu’il faut combattre la peur que la Chine suscite en la faisant connaître : « plus le monde connaîtra la Chine, plus il l’aimera » (p. 33).
M. Barr a toutefois raison de nous mettre en garde contre le risque de confondre l’influence, et les moyens de l’accroître (vehicle fallacy). Quelle que soit l’énormité des moyens financiers mobilisés, la Chine est encore loin d’avoir gagné la « guerre des cultures ». La multiplication des Instituts Confucius ne remet pas en cause le statut de lingua franca de l’anglais ; Xinhua et CCTV ne façonnent pas (encore ?) le paysage audiovisuel international ; les superproductions d’un Zhang Yimou ne concurrencent qu’à la marge Hollywood ou Bollywood.
Pour autant, la Chine continue à faire peur. Cette peur fonctionne comme une prophétie auto-réalisatrice : à force de l’évoquer elle finit par exister. Elle est le miroir de nos doutes, de nos échecs. L’occident, orphelin de la Guerre froide, n’a plus confiance dans sa prospérité, menacée par les crises à répétition, ni dans ses valeurs, minées par le relativisme. Peu importe finalement que la Chine ne soit pas blanche, qu’elle ne parle pas l’anglais et que les valeurs qu’elle promeut ne soient pas individualistes et démocratiques. On peut supposer avec l’auteur que si elle se convertissait demain à la démocratie, elle continuerait néanmoins à inquiéter. Car – telle est la thèse centrale de son livre – la peur de la Chine se nourrit moins de la menace qu’elle représente réellement que de nos propres incertitudes.