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Une saison à Gaza, voyage en territoire assiégé
Katia Clarens Paris, JC Lattès, 2011, 344 p.
Le titre d’Une saison à Gaza, dans sa référence à Rimbaud, annonce la couleur de l’ouvrage : les lecteurs sont invités à entrer dans ce qui constitue probablement une des situations les plus difficiles à vivre du monde contemporain. Une des plus difficiles à appréhender également : en raison du blocus de la bande de Gaza, récemment et partiellement levé depuis le « printemps égyptien », les informations de première main sur la vie quotidienne dans la bande de Gaza sont rares, tout particulièrement celles provenant de témoins extérieurs au conflit. C’est le mérite principal de l’ouvrage de Katia Clarens que de nous donner l’occasion de pénétrer avec elle dans cet espace clos, microcosme hétérogène où la politique est omniprésente et se décline dans les détails les plus menus de la vie quotidienne et de l’identité, en particulier sexuelle. Dans ce récit de voyage tout en nuances, on est amené à découvrir les différentes factions en présence au gré des rencontres de la journaliste, qui pose sur un mode souvent naïf des questions essentielles, trouvant des réponses d’une brutalité déconcertante. On se familiarise avec elle, tout au long des cinq mois de son séjour, avec le quotidien des Gazaouis, les grandes difficultés consécutives au blocus, mais aussi la débrouille et l’omniprésence du trafic ainsi que de multiples formes de violence. On partage la vie de familles locales, leurs joies et leurs peines, et on se prend à s’attacher aux personnes qu’elle nous fait rencontrer.
Ce livre, de lecture aisée, est donc un document précieux présentant un point de vue volontairement extérieur et naïf sur le quotidien dans la bande de Gaza – on pense ici plus à Voltaire qu’à Rimbaud. Ce n’est pas un ouvrage académique sur le conflit israélo-palestinien ou la société palestinienne, et les néophytes regretteront peut-être l’absence d’analyse de la situation décrite, en particulier des multiples factions en présence. C’est ici que la position de la visiteuse-journaliste rencontre ses limites : on la suit bien volontiers dans ses pérégrinations, mais on regrette que celles-ci ne soient pas davantage resituées dans la signification que les faits décrits ont pour les acteurs locaux. Par exemple, K. Clarens décrit de manière glaçante la dégradation de la situation des femmes sous le gouvernement du Hamas et sous la pression de groupes islamistes avec lesquels il compose. Mais l’idéologie présidant à ces mesures n’est pas explorée, ni la manière dont elles sont mises en œuvre dans le cadre d’un État à la capacité politique très réduite. L’islamisation, transformation politique et sociale, est donc décrite comme un phénomène implacable et presque naturel et non comme le résultat de pratiques d’acteurs concrets. De la même manière, on entrevoit l’action menée par de multiples ONG tant européennes qu’américaines ou arabes, mais les motivations et l’impact de celle-ci ne sont pas évoqués plus avant, laissant l’impression gênante que l’auteure adhère de manière non critique à leur discours sur le conflit, et sur leur propre rôle humanitaire ou promoteur de paix.
Une Saison à Gaza est donc un récit précieux car il nous fait entrer dans un monde inconnu et constitue un bon complément à des analyses plus scientifiques de la situation de la région. Il est beaucoup moins pertinent quand l’auteure quitte Gaza pour Israël ou la Cisjordanie, dont les descriptions ne sont utilisées qu’en contrepoint pour faire ressortir la spécificité de la bande de Gaza. Il convient aussi de garder en tête en le lisant qu’il constitue un point de vue – jamais explicité – qui construit cette singularité de Gaza tout en se donnant ostensiblement pour objectif de la dévoiler.