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Une démocratie corruptible
Pierre Lascoumes Paris, Seuil, République des Idées, 2011, 112 p.
Directeur de recherches au CNRS, rattaché au Centre d’études européennes de Sciences-Po, Pierre Lascoumes est un expert des conflits d’intérêts, auteur notamment d’ouvrages remarqués sur le blanchiment ou la corruption. C’est en se basant sur son expérience et sur des études récentes que l’auteur s’interroge sur les arrangements, favoritismes et conflits d’intérêts.
L’auteur attire l’attention, dès l’introduction, sur le fait que ces phénomènes de corruption, que chacun sanctionne sur le principe, ne sont pas nécessairement réprouvés lorsqu’il s’agit de comportements concernant des particuliers, ce qui conduit à une zone grise de la démocratie. Comme l’indique l’auteur, « qui accepterait qu’un homme politique fasse financer son journal de campagne par un industriel en échange d’un marché public ? En revanche, n’est-on pas tenté de donner raison à un élu qui interviendrait en faveur d’un concitoyen pour lui faire obtenir un logement social ? » (p. 7). C’est ce paradoxe qui est au cœur de l’ouvrage. Par une démonstration pédagogique et bien documentée, l’auteur analyse en profondeur les raisons de cette culture de tolérance, où ce qui choque moralement n’est pas nécessairement illégal, et ce qui est légal n’est pas nécessairement moral. Il existe un consensus pour condamner la corruption sous forme de détournement de fonds publics ou de prise illégale d’intérêts. Mais les enquêtes réalisées démontrent que la perception de ce qui est constitutif de corruption diffère au sein des citoyens. Les personnes interrogées peuvent même parfois justifier des faits avérés de corruption lorsque ceux-ci sont réalisés dans un but qui, à leurs yeux, est louable. De plus, élus et citoyens ne partagent pas nécessairement une vision commune d’un même comportement. « Les images négatives du personnel politique et la défiance qui en découle proviennent souvent de l’écart entre les perceptions du public, qui désapprouve les abus de fonction, et celles du milieu politique qui n’y voit que des débordements sans conséquences » (p. 28). P. Lascoumes analyse également les ressorts de la tolérance des citoyens envers une personnalité politique, même lorsque celle-ci a été poursuivie et condamnée pour des comportements répréhensibles. Les éléments justificatifs peuvent alors aller de l’argument du pragmatisme à la relation entre l’élu et les citoyens, en passant par la victimisation de la personnalité, mais aussi la banalisation du comportement réprimé, ou encore l’ignorance du fait.
Cet ouvrage, par son coté didactique, est parfait pour appréhender sous le prisme de la science politique le statut de l’élu face aux comportements de favoritisme et conflits d’intérêts. Pour l’économiste également, cet ouvrage est particulièrement éclairant. Analysant le rapport entre l’élu et le monde économique, l’auteur démontre en effet les liens qui unissent ces deux catégories d’acteurs du développement local. Leurs rencontres régulières sont essentielles pour développer le bien commun, mais cette collaboration peut également générer des risques « d’instrumentalisation réciproque du politique par l’économique » (p. 74). Interdire tout contact entre le monde économique et le personnel politique est bien entendu impossible, ni même souhaitable, tant il y a d’avantages à la collaboration. L’ouvrage apporte sur ce sujet une analyse particulièrement éclairante, tant pour l’élu que pour l’acteur économique, leurs permettant de déterminer les limites de leur action et de leur collaboration dans le développement de leur territoire commun. Il engage à une réflexion sur la corruption en général, comportant de nombreuses références internationales, notamment au système état-unien.