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Un monde tortionnaire
rapport 2010 de lAction Chrétienne pour lAbolition de la Torture / ACAT France Paris, 2010, 384 p.
Ce rapport pose un constat à la fois terrible et banal : la torture est un phénomène universel. D’abord dans ses formes : des traitements humiliants ou dégradants (fouille corporelle, conditions de détentions indignes, insultes), à la torture proprement dite (« sévices corporels et/ou psychologiques entraînant des douleurs aiguës »). Dans ses objectifs : obtenir des renseignements, extorquer des aveux, terroriser, punir. Dans ses lieux : des black sites de la CIA à travers l’Europe aux laogai chinois en passant par les postes de polices et les casernes en Afrique, Amérique latine, Moyen-Orient. Ses motifs : guerre contre le terrorisme, lutte contre l’opposition politique, « rééducation » de droits communs. Ses « moments » : arrestation, interrogatoire, arrivée en prison. Ses victimes : opposants politiques, droits communs, défenseurs des Droits de l’Homme, avocats, journalistes, simples citoyens, migrants. Ses auteurs : soldats, policiers, gardiens de prison, personnel médical.
Le but est toujours le même : démontrer la toute-puissance de l’autorité, détruire l’intégrité psychologique, sociale et relationnelle de la victime et atteindre « sa résignation acquise » (Learned helplessness).
Ce rapport décline une géographie de la torture qui passe par quatre continents et 22 pays. Certains peuvent nous apparaitre comme évidents (Chine, Iran) mais d’autres nous démontrent que ce phénomène n’est pas réservé aux dictatures (France, Brésil). En effet, la pratique de la torture est le résultat d’une diffusion de la violence à travers la société. Les guerres civiles en Amérique latine ou en Afrique ont banalisé la torture qui est devenue un outil de pouvoir comme un autre. Aujourd’hui la torture (dans sa définition large) est liée à trois phénomènes. La Guerre contre le Terrorisme a relancé les techniques de contre-insurrection mises au point pendant les guerres coloniales puis diffusées dans la lutte anti-subversive des années 1970 en Amérique latine. Le concept fallacieux « du mal nécessaire » pour protéger des innocents citoyens y est utilisé par les États démocratiques et par des pouvoirs autoritaires qui voient là la possibilité de s’amarrer aux démocraties en luttant contre le terrorisme et qui, en fait, luttent contre une société civile qui aspire à la démocratie et à la justice (Russie, Tunisie…). L’autre contexte durant lequel l’usage de la torture est admis est le conflit : arme de terreur ou moyen d’obtenir des renseignements, les zones de conflits sont le lieu de violences faites aussi bien aux combattants ennemis qu’aux civils qui se trouvent entre deux forces (Colombie, RDC...). Enfin, la prison est un autre espace privilégié pour la torture : soustrait aux regards de la société, le prisonnier est victime de cette institution régalienne qui n’intéresse pas les citoyens (manque de moyens donc locaux vétustes et inadaptés, corruption et manque de personnels, de nourriture et soins…). Cet angle mort de l’espace public est aussi un espace de vulnérabilité pour les prisonniers : la violence entre eux est à la fois le fait du manque de moyens mais parfois aussi un outil pour punir et contrôler les détenus « spéciaux » (opposants politique entre autres). Les migrants, vulnérables par leur clandestinité, sont eux aussi des cibles partout dans le monde.
Ce rapport souligne aussi que la torture est un mal oublié ou sous-estimé par l’opinion publique. Une toile de fond culturelle s’est répandue dans les pays occidentaux et promeut le concept de « mal nécessaire » depuis 2002 : les séries et les films d’action montrent de plus en plus ces actes dans lesquels « le gentil » se salit les mains pour le bien de tous (24 heures Chrono). Malgré la convention de l’ONU de 1984 et ses dispositions, la torture demeure un phénomène universellement répandu et ce rapport constitue un efficace rappel de cette situation.