Régis Debray vient de rédiger, à nouveau après Feu sacré, Dieu un itinéraire, un grand ouvrage sur la question d’Israël et de la Palestine et sur le rôle du religieux dans les conflits. Il refait aujourd’hui l’itinéraire de Jésus au sein du Proche-Orient et traverse les frontières avec des difficultés inconnues il y a deux mille ans (passeports, frontières fermées, tracasseries de toutes sortes…). Nazareth est en Israël. Bethléem en Palestine. Tyr et Sidon sont au Liban. Césarée de Philippe en Syrie, Béthanie et Gadara en Jordanie. L’auteur rencontre surtout les tensions confessionnelles des trois religions du Livre et observe comment juifs, chrétiens et musulmans vivent leur foi. Il rappelle que les religions séculières n’ont jamais su répondre à la question de la mort tout en se déclarant lui-même agnostique. En tant qu’observateur, il rappelle en cette Terre sainte le mélange des genres religieux et séculier intimement imbriqués. Seul un observateur à l’écoute des autres et liant culture et sensibilité peut dénouer le fil du labyrinthe « comme Germaine Tillon avant guerre dans l’Aurès ou Jacques Berque dans le Rif Seuls ces vagabonds feront, sur le tard, gagner du temps à leur pays pour avoir su en perdre dans leurs jeunes années ». Le sens de la formule, un style percutant, la restitution d’un vécu et d’entretiens très riches rendent la lecture passionnante et stimulante. Citons parmi les florilèges « L’État juif est démocratique pour les juifs et juif pour les Arabes ; un Fassan Nasrallah en lévite est moins médiéval qu’un Hariri en costume cravate; pour Israël le Hezbollah est chiite, il est Libanais pour les Libanais ». Cet ouvrage est à la fois témoignage, chronique et méditation. Il s’adresse aux croyants comme aux agnostiques. Il est un modèle de tolérance et de compréhension de ce Proche Orient compliqué avec lequel on arrive avec des idées simples et souvent manichéennes.
Les solutions politiques durables à la crise du Proche Orient ne sont pas militaires. Elles passent évidemment aujourd’hui par la reconnaissance réciproque diplomatique des États d’Israël et de Palestine en respectant les frontières de 1967. Elles impliquent des réformes économiques réductrices des énormes inégalités en termes de revenus, d’emplois, d’accès aux biens essentiels ou de sécurisation de l’accès à l’eau pour des populations cohabitant dans un territoire de très faible taille. Mais elles supposent aussi, comme le relate à merveille cet ouvrage, la compréhension des différentes représentations, frustrations, croyances et humiliations des acteurs du bas et de leurs porte-parole politiques acceptant la différence et permettant de dépasser les haines et rejets de l’autre.