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Trois tasses de thé. La mission de paix d’un Américain au Pakistan et en Afghanistan
G. Mortenson et D. O. Relin Grenoble, Glénat, 2009, 400 p.
Alors que les relations États-Unis/Pakistan sont associées habituellement à des enjeux militaires, à des liens conflictuels ou problématiques, voici l’histoire d’un succès américain longtemps méconnu, désormais lecture obligatoire pour les officiers de l’armée américaine dans le cadre des enseignements relatifs à la lutte contre-insurrectionnelle. La réussite dont il est question n’est pourtant pas celle d’une politique américaine, encore moins d’une entreprise militaire, mais de l’action d’un Américain féru d’alpinisme, Greg Mortenson, qui a été candidat au prix Nobel de la Paix en 2009.
Le récit que livre le journaliste David Olivier Relin est tout à fait remarquable : Greg Mortenson, aide-soignant de son état, s’étant égaré alors qu’il était parti escalader des sommets himalayens au début des années 1990, arrive par mégarde au Pakistan ; suite à une discussion avec le chef de la tribu locale, il s’engage à construire une école pour son village perdu dans la montagne, malgré sa précarité financière personnelle. Pourtant, il est parvenu à construire cette école – d’abord une, puis une deuxième, et maintenant plus de quatre-vingt-dix, au Pakistan ainsi qu’en Afghanistan, créant même pour cela un Institut, le Central Asia Institute.
L’on ne peut que regretter alors que le livre se teinte à plusieurs reprises de colorations hagiographiques en brossant à petits traits le portrait de « Dr. Greg », comme l’appellent les Pakistanais, sans que ces touches ajoutent quelque chose au récit – ni au portrait. Les qualités de l’homme s’imposent d’elles-mêmes au vue des résultats qu’il a obtenus à force de persévérance et d’humilité, de respect des avis et des coutumes d’autrui : il n’est pas besoin d’ajouter ou de masquer quelque chose pour susciter l’admiration et le respect.
Au-delà de l’histoire individuelle, ou plus précisément à travers celle-ci, il est possible de discerner dans ce livre une vérité fondamentale pour quiconque s’intéresse à la géopolitique ou à l’assistance humanitaire. Le parcours de Greg Mortenson montre concrètement comment et pourquoi l’aide internationale, pour vraiment aider une population, autrement dit pour être efficace, se doit avant tout d’écouter ceux qu’elle entend assister. Si certains personnages rencontrés se sont certes révélés animés par l’appât du gain, la plupart ont cherché à soutenir l’homme, convaincus de sa sincérité. C’est ainsi que lorsqu’une figure locale d’autorité s’oppose au projet de l’Américain qu’il accuse de ne pas respecter l’islam, G. Mortenson, suivant les conseils de ses collaborateurs locaux, s’adresse à un chef religieux chiite conservateur (la région est majoritairement chiite, bien que le Pakistan soit majoritairement sunnite), qui décide de s’en référer à des experts religieux iraniens. Ces derniers approuvent le projet éducatif. Récit surprenant, qui voit l’Iran soutenir un Américain et même cautionner son action (qui privilégie l’éducation des filles), lui apporter une légitimité sur le plan religieux, alors que l’Administration Bush avait rejeté son offre d’assistance à l’occasion de l’invasion de l’Afghanistan en incluant Téhéran dans le fameux « axe du mal »…
La valeur de l’action de Mortenson ne relève pas uniquement d’une action humanitaire : malgré lui, il se retrouve à contribuer aux intérêts stratégiques à long terme des États-Unis, à savoir la stabilisation du Pakistan : l’éducation est en effet identifiée de longue date comme une priorité pour redresser la situation au Pakistan, bien plus que les ventes d’armements ou de technologies militaires. L’assistance directe, qui ne s’impose pas à la population mais s’efforce de combler les besoins identifiés par celle-ci, en respectant ses coutumes, ses pratiques, ainsi que ses croyances, semble au final bien plus efficace que l’aide publique au développement. Néanmoins, l’efficacité accrue qui résulte de l’absence de soutien gouvernemental suggère également que des ONG moins respectueuses peuvent produire des dommages tout aussi conséquents. Ce livre peut donc se lire de multiples façons. Il est tout à la fois un récit exceptionnel d’un homme, soutenu par des partenaires locaux convaincus de sa sincérité ; une démonstration de la valeur de l’assistance non gouvernementale ; une réfutation du « choc des civilisations » ; mais également un appel à l’engagement, à l’écoute et à la compréhension des cultures locales.