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Traiter avec le diable ? Les vrais enjeux de la diplomatie au XXIe siècle
par Pierre Grosser - Paris, Odile Jacob, 2013, 292 p.
Pierre Grosser, spécialiste de l’histoire des relations internationales, se penche, dans Traiter avec le diable ?, sur le rôle et la pertinence de la diplomatie et des négociations lorsque l’adversaire prend l’allure d’un « diable » et que la tentation est parfois grande de préférer la menace ou la force. Entre leçons d’histoire, schématisation, rejet systématique de la coopération avec ce « diable » et identification de solutions idéalisées, la question est vaste et mérite effectivement que l’on y consacre un ouvrage.
La première difficulté, bien qu’elle ne soit pas la première abordée par l’auteur, réside dans la définition de ces « diables », qui est actuellement « plus compliquée qu’à l’époque d’Hitler » (p. 184) et dépend de la perception du monde. On peut, tout d’abord, avoir une vision centrée sur les rivalités traditionnelles, qui nous placent face à un ennemi que l’on a tendance à diaboliser : les oppositions de puissance dérivées de la guerre froide, la notion de « choc des civilisations » et la lutte des classes y correspondent. Autre conception possible : la valorisation du progrès et de la démocratie, qui mène à identifier des « perturbateurs » (p. 202), tels que les tenants de toute forme de totalitarisme contre la démocratie ou les opposants à certains standards de civilisation. Enfin, il est possible de mettre l’accent sur un monde complètement transformé ou militarisme, bureaucratie et frontières artificielles rendraient l’État suspect, bien qu’une trop grande remise en cause de celui-ci représente également un danger.
La seconde difficulté est de parvenir à se détacher des leçons d’histoire, car il convient de toujours prendre le contexte en considération. Il est donc impossible de les appliquer de façon calquée à deux situations, en dépit de la prégnance de ces « syndromes » ; le déterminisme serait trop grand. Pour illustrer cette difficulté, les exemples historiques sont nombreux – Munich, Suez, le Viêtnam et la guerre froide – et témoignent du fait que les traces de ces leçons d’histoire sont nombreuses : « l’appeasement est pratiqué par les faibles et l’offensive par les forts, la main est tendue lorsque la puissance du fort est déclinante et le containment est préférable lorsque les puissances sont équivalentes » (p. 93).
La troisième difficulté, au centre de l’ouvrage, tient justement à ne pas tomber dans le schématisme : ni dans la séparation stricte du « bon » et du « mauvais », ni dans la poursuite de solutions idéalisées et extrêmes. Ainsi, la tentation serait grande de se laisser aller à des interactions simplifiées avec les « diables », sans véritable dilemme, en se limitant à des mécanismes d’actions et de réactions dans lesquels méfiance et suspicion dominent face à un partenaire auquel on attribue une nature schématisée comme mauvaise et en fonction de laquelle on interprète toutes ses actions, intentions et manœuvres. Or, cette vision implique une difficulté certaine à « traiter avec le diable », puisque ceci est considéré comme immoral, comme une preuve de faiblesse, représentant un risque politique inutile voire contreproductif. La recherche d’une perfection illusoire est un autre élément d’un schématisme excessif, qui amène à de graves contradictions s’« il existe [à la fois] une demande de sécurité absolue, une demande d’absolu moral dans la désignation des diables, le refus des compromissions et des deux poids deux mesures, et une demande que les moyens utilisés soient parfaitement calibrés. » (p. 284)
Traiter avec le diable ? est un ouvrage riche en exemples divers, analyses non déterministes et points de vue pluriels, qui parviennent à faire oublier les quelques difficultés à suivre parfois le raisonnement mené et l’ordre choisi. In fine, le lecteur est plongé comme promis dans cet univers complexe, dans les interrogations et enjeux fascinants de la diplomatie : « il faut croire dans les vertus de la diplomatie tout en connaissant ses limites » (p. 289).
La première difficulté, bien qu’elle ne soit pas la première abordée par l’auteur, réside dans la définition de ces « diables », qui est actuellement « plus compliquée qu’à l’époque d’Hitler » (p. 184) et dépend de la perception du monde. On peut, tout d’abord, avoir une vision centrée sur les rivalités traditionnelles, qui nous placent face à un ennemi que l’on a tendance à diaboliser : les oppositions de puissance dérivées de la guerre froide, la notion de « choc des civilisations » et la lutte des classes y correspondent. Autre conception possible : la valorisation du progrès et de la démocratie, qui mène à identifier des « perturbateurs » (p. 202), tels que les tenants de toute forme de totalitarisme contre la démocratie ou les opposants à certains standards de civilisation. Enfin, il est possible de mettre l’accent sur un monde complètement transformé ou militarisme, bureaucratie et frontières artificielles rendraient l’État suspect, bien qu’une trop grande remise en cause de celui-ci représente également un danger.
La seconde difficulté est de parvenir à se détacher des leçons d’histoire, car il convient de toujours prendre le contexte en considération. Il est donc impossible de les appliquer de façon calquée à deux situations, en dépit de la prégnance de ces « syndromes » ; le déterminisme serait trop grand. Pour illustrer cette difficulté, les exemples historiques sont nombreux – Munich, Suez, le Viêtnam et la guerre froide – et témoignent du fait que les traces de ces leçons d’histoire sont nombreuses : « l’appeasement est pratiqué par les faibles et l’offensive par les forts, la main est tendue lorsque la puissance du fort est déclinante et le containment est préférable lorsque les puissances sont équivalentes » (p. 93).
La troisième difficulté, au centre de l’ouvrage, tient justement à ne pas tomber dans le schématisme : ni dans la séparation stricte du « bon » et du « mauvais », ni dans la poursuite de solutions idéalisées et extrêmes. Ainsi, la tentation serait grande de se laisser aller à des interactions simplifiées avec les « diables », sans véritable dilemme, en se limitant à des mécanismes d’actions et de réactions dans lesquels méfiance et suspicion dominent face à un partenaire auquel on attribue une nature schématisée comme mauvaise et en fonction de laquelle on interprète toutes ses actions, intentions et manœuvres. Or, cette vision implique une difficulté certaine à « traiter avec le diable », puisque ceci est considéré comme immoral, comme une preuve de faiblesse, représentant un risque politique inutile voire contreproductif. La recherche d’une perfection illusoire est un autre élément d’un schématisme excessif, qui amène à de graves contradictions s’« il existe [à la fois] une demande de sécurité absolue, une demande d’absolu moral dans la désignation des diables, le refus des compromissions et des deux poids deux mesures, et une demande que les moyens utilisés soient parfaitement calibrés. » (p. 284)
Traiter avec le diable ? est un ouvrage riche en exemples divers, analyses non déterministes et points de vue pluriels, qui parviennent à faire oublier les quelques difficultés à suivre parfois le raisonnement mené et l’ordre choisi. In fine, le lecteur est plongé comme promis dans cet univers complexe, dans les interrogations et enjeux fascinants de la diplomatie : « il faut croire dans les vertus de la diplomatie tout en connaissant ses limites » (p. 289).