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Théorie des Hybrides. Terrorisme et crime organisé
Par Jean-François Gayraud - Paris, CNRS Éditions, 2017, 250p.
Cet ouvrage, écrit par un haut fonctionnaire du ministère de l’Intérieur, tente de donner un cadre conceptuel à l’évolution de la violence politique d’acteurs non étatiques que doivent affronter les États depuis la fin de la guerre froide. Auparavant, le partisan se distinguait du criminel sur un critère relativement clair : alors que le premier prenait les armes pour des motivations essentiellement politiques (refuser l’occupation étrangère, renverser un régime politique pour des questions idéologiques), le bandit ou le criminel enfreignait la loi comme moyen de subsistance sans se soucier de mettre en cause le pouvoir politique. Mais l’histoire de ces dernières décennies montre que cette distinction n’est plus de mise. Les deux univers s’interpénètrent, s’hybrident pour produire une nouvelle forme de groupe violent, recourant généralement aux méthodes terroristes sans que la finalité politique détermine entièrement la conduite des opérations.
« L’hybride est l’irrégulier de l’ère du chaos » (p. 41) : l’auteur note que les processus d’hybridation ne se cantonnent pas à la violence politique, mais qu’ils concernent divers champs de la vie actuelle. La « balkanisation » du monde, la fin du parrainage d’une superpuissance ou d’un mouvement idéologique, la montée de la criminalité transnationale, l’affaissement des idéologies remplacées par le capitalisme sans frein et le règne de l’appât du gain – une nouveauté qui laisse tout de même dubitatif –, la démobilisation des combattants locaux de la guerre froide sont autant de raisons favorisant le développement de nouvelles formes de groupements violents. La typologie ensuite exposée représente en fait les quatre degrés de rapprochement des mouvements criminels et révolutionnaires classiques : de la coopération à l’osmose totale. Aujourd’hui, une organisation terroriste type comprend trois parties : une aile politique, une aile terroriste et « une aile de services sociaux » (p. 52), ce qui lui permet d’agir dans le domaine de la compétition politique légale, et de conquérir les cœurs d’une population souvent délaissée par les régimes en place.
La rencontre des deux formes de violence autrefois étanches est déterminée par la politisation du crime, qui désormais doit contraindre les États à céder des parts de souveraineté pour que le profit criminel puisse s’épanouir, mais aussi par la criminalisation du politique. Dans ce domaine, l’auteur rappelle le contexte historique qui oblige les anciennes guérillas à recourir à divers trafics, et notamment la narcoéconomie, pour financer leur lutte, mais tend à considérer le crime comme inhérent à des organisations qui affrontent l’ordre et la loi – quelque légitimité qu’elles aient dans certaines régions du monde. Ainsi, il a tôt fait de condamner les finalités de ces mouvements au nom de leurs méthodes, en oubliant un peu rapidement les horreurs des guérillas d’antan et des méthodes de répression tant des armées occidentales que du tiers-monde.
Cette vision de Javert est assez dérangeante lorsqu’il traite du « djihadiste en voyou de banlieue », où le passé délinquant d’une partie des candidats au terrorisme et au djihad, ainsi que le comportement des djihadistes français sur le territoire contrôlé par l’État islamique le font rapidement conclure que l’idéologie et la religion ne sont que des paravents face au profil classique de criminels – le lucre, la propension à la violence, le narcissisme exacerbé, etc. D’autres travaux infirment cette généralisation, qui, si elle peut convaincre quant aux profils des combattants français de Daech, ne permet pas de décrire la majorité des membres des autres mouvements djihadistes (voir notre chronique précédente sur le livre de Xavier Crettiez, Les Soldats de Dieu, La Revue internationale et stratégique, n° 109). On lira toutefois cet ouvrage pour la description de phénomènes ou mouvements parfois peu connus, comme ce gang mexicain, « la Familia », qui conjugue pratiques mafieuses, violence extrême militarisée et culte messianique. On en méditera par ailleurs la conclusion, qui rappelle que ces mouvements prospèrent aussi du fait de la segmentation des administrations chargées de les combattre.
« L’hybride est l’irrégulier de l’ère du chaos » (p. 41) : l’auteur note que les processus d’hybridation ne se cantonnent pas à la violence politique, mais qu’ils concernent divers champs de la vie actuelle. La « balkanisation » du monde, la fin du parrainage d’une superpuissance ou d’un mouvement idéologique, la montée de la criminalité transnationale, l’affaissement des idéologies remplacées par le capitalisme sans frein et le règne de l’appât du gain – une nouveauté qui laisse tout de même dubitatif –, la démobilisation des combattants locaux de la guerre froide sont autant de raisons favorisant le développement de nouvelles formes de groupements violents. La typologie ensuite exposée représente en fait les quatre degrés de rapprochement des mouvements criminels et révolutionnaires classiques : de la coopération à l’osmose totale. Aujourd’hui, une organisation terroriste type comprend trois parties : une aile politique, une aile terroriste et « une aile de services sociaux » (p. 52), ce qui lui permet d’agir dans le domaine de la compétition politique légale, et de conquérir les cœurs d’une population souvent délaissée par les régimes en place.
La rencontre des deux formes de violence autrefois étanches est déterminée par la politisation du crime, qui désormais doit contraindre les États à céder des parts de souveraineté pour que le profit criminel puisse s’épanouir, mais aussi par la criminalisation du politique. Dans ce domaine, l’auteur rappelle le contexte historique qui oblige les anciennes guérillas à recourir à divers trafics, et notamment la narcoéconomie, pour financer leur lutte, mais tend à considérer le crime comme inhérent à des organisations qui affrontent l’ordre et la loi – quelque légitimité qu’elles aient dans certaines régions du monde. Ainsi, il a tôt fait de condamner les finalités de ces mouvements au nom de leurs méthodes, en oubliant un peu rapidement les horreurs des guérillas d’antan et des méthodes de répression tant des armées occidentales que du tiers-monde.
Cette vision de Javert est assez dérangeante lorsqu’il traite du « djihadiste en voyou de banlieue », où le passé délinquant d’une partie des candidats au terrorisme et au djihad, ainsi que le comportement des djihadistes français sur le territoire contrôlé par l’État islamique le font rapidement conclure que l’idéologie et la religion ne sont que des paravents face au profil classique de criminels – le lucre, la propension à la violence, le narcissisme exacerbé, etc. D’autres travaux infirment cette généralisation, qui, si elle peut convaincre quant aux profils des combattants français de Daech, ne permet pas de décrire la majorité des membres des autres mouvements djihadistes (voir notre chronique précédente sur le livre de Xavier Crettiez, Les Soldats de Dieu, La Revue internationale et stratégique, n° 109). On lira toutefois cet ouvrage pour la description de phénomènes ou mouvements parfois peu connus, comme ce gang mexicain, « la Familia », qui conjugue pratiques mafieuses, violence extrême militarisée et culte messianique. On en méditera par ailleurs la conclusion, qui rappelle que ces mouvements prospèrent aussi du fait de la segmentation des administrations chargées de les combattre.