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The Future of Europe : Towards a Two-Speed EU ?
Jean-Claude Piris Cambridge University Press, Cambridge, 2012, 176 p.
La crise multiforme que traverse l’Union européenne (UE) fait resurgir les débats sur l’avenir institutionnel et juridique de la construction européenne. Alors que l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne en décembre 2009 était censée clore une décennie de chantier institutionnel, la quête d’une cohérence accrue entre pays membres de la zone euro, les limites révélées ou confirmées des institutions et mécanismes européens face aux turbulences des trois dernières années relancent, pour certains, le besoin de réformer l’UE.
Dans ce contexte, l’ouvrage de Jean-Claude Piris, ancien conseiller juridique du Conseil de l’UE puis Directeur général de son service juridique, est une contribution utile à ce débat. Malgré un a priori pro-européen assumé et aisément compréhensible compte tenu de la trajectoire professionnelle de l’auteur (p. 8-19), Jean-Claude Piris pose un diagnostic clairvoyant sur l’état actuel d’une UE qui « ne fonctionne pas bien et qui est incapable de résoudre ses problèmes fondamentaux actuels » (p. 20). Cette situation se heurte selon l’auteur à une impossibilité politique de réformer l’UE en profondeur compte tenu notamment d’une certaine fatigue à l’égard des discussions institutionnelles de la décennie 2001-2009, de la Déclaration de Laeken à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne (p. 53-60). Après avoir rappelé que l’UE dans sa forme actuelle permet déjà des degrés ou niveaux d’intégration différenciés (p. 61-105), Jean-Claude Piris évoque dans les deux derniers chapitres les modalités politiques (p. 106-120) et juridiques (p. 121-142) d’émergence d’une « Europe à deux vitesses ».
Si l’auteur appelle celle-ci de ses vœux, c’est en partie comme ultime recours : « si la situation à l’avenir devait devenir telle que l’UE soit forcée soit de prendre cette direction soit d’accepter que son progrès soit stoppé et commence même potentiellement à décliner, l’idée pourrait et devrait être reconsidérée » (p. 102). Le propos ici est bien une invitation à reconsidérer une idée – la possibilité d’une intégration européenne différenciée – dont la genèse est aussi ancienne que la construction européenne elle-même, et qui a déjà suscité de nombreux débats et concepts : avant-garde, Europe à plusieurs vitesses, groupe pionnier, centre de gravité européen, etc. La spécificité de la contribution du présent ouvrage dans ces débats relativement anciens est de proposer une étude juridique et institutionnelle étayée au service d’un possible sursaut de l’intégration européenne. La voie proposée diffère des propositions courantes de « réforme de l’existant », en suggérant la création de nouvelles institutions parallèlement à la Commission européenne, au Parlement européen et au Conseil, tout en s’inspirant du modèle communautaire existant (p. 127). Par-delà cette architecture institutionnelle principale, les arrangements juridiques nécessaires à l’avènement de cette intégration plus poussée entre quelques États membres sont étudiés en détail. C’est dans la définition et la description de la liste des États susceptibles d’être concernés ou tentés par ce pas en avant que le propos est peut-être légèrement moins convaincant. La « volonté d’avancer démontrée par les États membres par le passé » (p. 139), constitue certes un critère a priori. Mais l’histoire récente et la structure même de l’intégration européenne aujourd’hui attestent que selon les sujets, les États susceptibles d’être à la fois capables et volontaires pour faire plus ou plus vite ne sont pas les mêmes : un État peut très bien ne pas vouloir ou pouvoir adopter l’euro comme monnaie tout en étant désireux d’aller plus loin en matière de politique de défense commune ; un pays peut être fédéraliste sans remplir les critères de l’Union économique et monétaire, etc. On touche ici à la seule limite de l’exercice proposé ici par Jean-Claude Piris. Si la démonstration d’une possibilité juridique pour faire rebondir l’intégration européenne est convaincante et relativement inédite à ce niveau de précision, l’environnement, les conditions et les conséquences politiques d’un tel scénario sont relativement marginalisés dans l’analyse.