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The Arab Uprising. The Unfinished Revolutions of the New Middle East.
Marc Lynch Public Affairs, New York, 2012, 288 p.
Cet ouvrage de Marc Lynch, professeur de science politique à l’Université George Washington, s’inscrit dans la continuité de ses précédentes recherches autour du concept de « nouvelle sphère publique arabe ». L’objectif de l’auteur est d’analyser les facteurs déclencheurs des révoltes arabes mais aussi et surtout de proposer une grille de lecture pour les évènements à venir, qui annoncent une transformation de fond de la situation politique et sociale dans le monde arabe. Il note ainsi que ces révoltes ne peuvent pas être analysées à travers le seul prisme de la transition démocratique. Pour l’heure, le véritable changement est l’affirmation de l’influence des peuples arabes sur la définition des politiques nationales. En effet, les révoltes arabes ont fait émerger une société civile plus unie, avec des revendications davantage relayées par les médias – notamment Al-Jazzera. Outre leur force militaire, leur taille et leur richesse, le rétablissement de l’autorité des États dépendra surtout de leur capacité à s’aligner sur les aspirations populaires. Ces évènements révolutionnaires ont également renforcé l’intrication des diverses questions régionales (Irak, Palestine, etc.) prônant un sentiment d’appartenance au monde arabe consolidé et accentué par le truchement des réseaux sociaux et chaînes télévisées panarabes. Enfin, la volonté des gouvernements à intervenir dans les affaires internes de leurs rivaux régionaux tout en se protégeant des ingérences dans leurs propres affaires internes déterminera leur importance sur l’échiquier régional.
Ensuite, l’auteur propose un récit chronologique des soulèvements arabes, en identifiant les principaux moments de rupture ainsi que l’arrière-plan historique de ces révolutions inachevées. Il relève l’existence de deux mouvements précurseurs, la révolution du Cèdre au Liban en 2005, et le Mouvement vert en Iran qui apparaît en juin 2009. Mars 2011 est un tournant répressif qui provoque une violence accrue et le déclenchement de véritables guerres civiles. Sans nier l’existence de forces contre-révolutionnaires, l’auteur met en évidence le caractère hétéroclite de la coalition rassemblée autour du leadership saoudien. Vue du Moyen-Orient, l’intervention occidentale en Libye est positivement perçue, ce qui constitue une rupture majeure dans l’histoire politique de la région avec l’acceptation par la majorité des États arabes du principe de la « responsabilité de protéger » (p. 164). Enfin, l’exemple syrien démontre que le « Printemps arabe » n’affecte pas que des régimes pro-américains.Autrement dit, il ne suffit pas aux gouvernements de mettre en œuvre une politique étrangère anti-américaine et anti-sioniste pour empêcher l’émergence d’aspirations démocratiques au sein des sociétés arabes.
La dernière partie est consacrée à la politique américaine au Moyen-Orient. L’auteur, qui s’appuie sur des sources internes de l’Administration Obama, décrypte la diplomatie américaine mettant en évidence ses forces (soutien à la démocratisation, pragmatisme, réaction au cas par cas) et ses faiblesses (alliance avec l’Arabie Saoudite dont le régime est anti-démocratique, silence sur la crise au Bahreïn, échec sur la question israélo-palestinienne). Il conclut en soulignant les progrès américains, depuis le 11-Septembre, vers une meilleure compréhension des mouvements islamistes. Celle-ci sera en effet indispensable à la mise en œuvre d’une nouvelle politique américaine au Moyen-Orient qui puisse s’adapter à l’émergence d’un nouvel ordre régional. Outre l’utilisation de sources inédites pour présenter la diplomatie moyen-orientale de l’Administration Obama, l’un des principaux mérites de cet ouvrage est d’offrir aux lecteurs une profondeur historique pour décrypter l’actualité. L’auteur propose aussi l’un des premiers récits englobant l’ensemble des révoltes arabes sans pour autant en tirer des leçons définitives. Il s’agit plutôt d’une première mise en ordre de la documentation et des événements ayant conduit aux transformations politiques et sociales en cours au Moyen-Orient.