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Télégrammes diplomatiques. Voyage au cur de la politique extérieure de l’Europe
Marc Pierini Arles, Actes Sud, 2010, 215 p.
La littérature sur les relations extérieures de l’Union européenne (UE) souffre souvent de son enfermement dans un prisme juridique et institutionnel la rendant au mieux peu analytique et pertinente, au pire indigeste. Les témoignages de diplomates ou de responsables politiques souffrent quant à eux souvent d’une prétention inaccomplie à expliquer le monde sous un jour nouveau, ou d’une propension à l’auto-remémoration anecdotique de faible intérêt.
Échappant à ce double écueil, le petit ouvrage de Marc Pierini constitue une heureuse exception autant qu’une contribution utile à la compréhension du développement de la politique extérieure de l’UE au cours des trois dernières décennies, du moins dans sa dimension communautaire[1]. Haut fonctionnaire français au sein de la Commission européenne (CE), successivement en poste au sein des délégations de cette institution à Washington, Rabat, Damas, Tunis, Tripoli et Ankara, l’auteur nous livre ici ce que pourrait être le résultat d’un bon entretien qualitatif sur la construction de l’action extérieure de l’UE vue par ceux qui la font.
Même lorsqu’il prend la forme d’anecdotes et de souvenirs personnels, le récit reste à une ou deux exceptions près au service de la construction et de la restitution d’un témoignage sur ce qu’est l’action extérieure de l’UE – et sur ce qu’elle n’est pas. Un témoignage d’autant plus intéressant qu’il remet en cause les grilles de lecture classiques de cette action, voire de la construction européenne en général.
En restituant la dimension humaine de la pratique des relations internationales (importance des réseaux, de la nature des relations de travail, des qualités et préférences individuelles des personnalités en poste), l’auteur fait entrer dans le champ de l’analyse des politiques européennes un domaine d’investigation souvent négligé au profit du prisme juridico-institutionnel. En témoignant du caractère non prémédité voire même parfois improvisé de l’élaboration de certaines décisions, qui émanent davantage de réalités de terrain que de prérogatives et d’impératifs juridiques et institutionnels abscons, Marc Pierini renvoie une image renouvelée de l’action extérieure de l’Union. Celle-ci y apparaît comme une construction souvent ad hoc, en vertu de laquelle « nécessité fait loi et la combinaison du pragmatisme et de l’imagination (…) fait le reste », et où dans bien des cas « le processus d’intégration européenne a accompli un progrès sous une pression venue de l’extérieur » (p.197). Une vision intéressante de la façon dont des progrès politiques peuvent se faire par le bas et par l’extérieur plutôt que par les traités, qui contraste cependant avec les attentes que l’auteur semble placer dans les apports institutionnels du Traité de Lisbonne en matière de politique étrangère commune.
L’attachement visible de l’auteur à son institution d’origine et au sens de son action diplomatique ne l’empêche pas de pointer des travers européens actuels ou passés, et le propos est dès lors occasionnellement critique, exprimant des déceptions à l’égard de l’exercice diplomatique européen tel qu’il va. Sont ainsi par exemple pointés du doigt le développement occasionnel d’une diplomatie du chéquier faute de diplomatie tout court, ou la propension des Européens à confondre reproduction de leur fonctionnement et mode de pensée internes (vertus pacificatrices et intégratives du libéralisme économique, etc.) et action diplomatique et stratégique efficace.
[1] L’auteur témoigne surtout du rôle des délégations de la Commission européenne auprès des pays tiers, auxquelles des enjeux comme la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) et la Politique européenne de sécurité et de défense (PESD) ont jusqu’à présent échappé.