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« Soldats de Dieu ». Paroles de djihadistes incarcérés
Par Xavier Crettez et Bilel Ainine La-Tour-d'Aigues - Paris, Editions de l'Aube - Fondation Jean Jaurès, 2017, 163p.
En France, le tournant des attentats de 2015 a permis de prendre conscience du manque de connaissances sur les mécanismes du terrorisme djihadiste : les pouvoirs publics tâtonnaient pour déterminer une politique de prévention de la radicalisation ; diverses thèses se sont affrontées et la synthèse reste à faire. Les travaux du type de ceux menés par Xavier Crettiez et Bilel Ainine sont les bienvenus dans ce contexte : l’interview de 13 personnes incarcérées pour leurs liens avec des organisations ou des actes terroristes djihadistes.
Il faut souligner quelques limites signalées par les auteurs eux-mêmes. D’abord, le petit nombre de personnes entendues et la nature forcément biaisée de ce choix – celles qui acceptent de parler à des journalistes, alors qu’elles sont en prison et sous le coup d’une procédure. En outre, une seule a eu des liens avec Daech, les autres représentant plutôt le djihadisme précédent – celui d’Al-Qaïda. Ces précautions prises, la lecture de ce petit ouvrage est passionnante et démonte les affirmations de pseudo-spécialistes entendus sur les plateaux de télévision. Ainsi, contrairement à ce qui a souvent été avancé, la connaissance de la religion et l’investissement dans l’étude du Coran sont réels. La religion apparaît d’ailleurs comme un élément central de leur engagement violent et ne pourrait être remplacée par une quelconque idéologie : « Dieu est partout ». La religion a apporté une réponse à une révolte ou à un désarroi moral, mais n’en est pas moins le départ légitime et structurant de leur dérive vers le terrorisme. L’islam suivi par ces djihadistes est un mélange complexe de salafisme anti-traditionnaliste et de culte de la raison pour justifier leur révolte. Les personnes interrogées affichent une soumission inconditionnelle à la parole révélée, tout en cherchant à démontrer, à étayer leurs arguments et à réfuter les attaques contre leur dogme. Attachés au rite qu’ils ont souvent découvert initialement par eux-mêmes, ils combattent pour défendre la communauté des fidèles, tout en ayant le sentiment de faire partie d’une minorité d’élites incomprises.
Généralement originaires d’Afrique du Nord, ils affichent leur admiration de la France tout en lui étant hostile : la France de toutes les promesses, de la science et de la raison n’en est pas moins le pays des discriminations qu’ils ont subies, de l’acharnement contre les croyants extériorisant leur foi, menant une politique étrangère brutale contre les musulmans en Afrique et au Moyen-Orient. Dans l’ensemble, les jeunes incarcérés manifestent une soif de connaissances, de lecture et de besoin de vérifier le raisonnement qui les a conduits à leur engagement et, le cas échéant, à leurs crimes. Ce sentiment d’injustice qu’endurent les musulmans et les jeunes issus de l’immigration nourrit leur révolte et la nécessité de recourir aux armes, y compris contre des victimes innocentes. Bien que leurs réponses divergent lorsque la question des atrocités de Daech est abordée, ils tendent à justifier le terrorisme et l’extrême violence par les commandements du Coran et la légitime défense d’une communauté agressée par l’impérialisme occidental. Même le 13-novembre, attentats ayant massacré indifféremment « mécréants » et musulmans, peut être justifié : « les musulmans ne vont pas dans les bars et ne soutiennent pas l’équipe de France » (p. 65). Et puis, le djihad forme la fraternité des combattants, qui prouve le sérieux de leur engagement. Mais la France apparaît finalement moins l’ennemie absolue que les chiites, figure du traître musulman.
Incarcérés, ces jeunes peuvent regretter les crimes et les attentats, mais restent pour la plupart déterminés dans leur foi et leur intransigeance doctrinale. La lecture de cet ouvrage finit par provoquer une inquiétude – « des ennemis déterminés et difficile à débarrasser de leur haine » – et une ouverture : bien des parcours tragiques pourraient être évités si le mal-être des jeunes des cités était traité en amont. Vaste programme. Nous inviterons à compléter la lecture par celui de David Thomson, Les Revenants (Paris, Seuil, 2016), qui traite du retour des Français partis rejoindre l’État islamique.
Il faut souligner quelques limites signalées par les auteurs eux-mêmes. D’abord, le petit nombre de personnes entendues et la nature forcément biaisée de ce choix – celles qui acceptent de parler à des journalistes, alors qu’elles sont en prison et sous le coup d’une procédure. En outre, une seule a eu des liens avec Daech, les autres représentant plutôt le djihadisme précédent – celui d’Al-Qaïda. Ces précautions prises, la lecture de ce petit ouvrage est passionnante et démonte les affirmations de pseudo-spécialistes entendus sur les plateaux de télévision. Ainsi, contrairement à ce qui a souvent été avancé, la connaissance de la religion et l’investissement dans l’étude du Coran sont réels. La religion apparaît d’ailleurs comme un élément central de leur engagement violent et ne pourrait être remplacée par une quelconque idéologie : « Dieu est partout ». La religion a apporté une réponse à une révolte ou à un désarroi moral, mais n’en est pas moins le départ légitime et structurant de leur dérive vers le terrorisme. L’islam suivi par ces djihadistes est un mélange complexe de salafisme anti-traditionnaliste et de culte de la raison pour justifier leur révolte. Les personnes interrogées affichent une soumission inconditionnelle à la parole révélée, tout en cherchant à démontrer, à étayer leurs arguments et à réfuter les attaques contre leur dogme. Attachés au rite qu’ils ont souvent découvert initialement par eux-mêmes, ils combattent pour défendre la communauté des fidèles, tout en ayant le sentiment de faire partie d’une minorité d’élites incomprises.
Généralement originaires d’Afrique du Nord, ils affichent leur admiration de la France tout en lui étant hostile : la France de toutes les promesses, de la science et de la raison n’en est pas moins le pays des discriminations qu’ils ont subies, de l’acharnement contre les croyants extériorisant leur foi, menant une politique étrangère brutale contre les musulmans en Afrique et au Moyen-Orient. Dans l’ensemble, les jeunes incarcérés manifestent une soif de connaissances, de lecture et de besoin de vérifier le raisonnement qui les a conduits à leur engagement et, le cas échéant, à leurs crimes. Ce sentiment d’injustice qu’endurent les musulmans et les jeunes issus de l’immigration nourrit leur révolte et la nécessité de recourir aux armes, y compris contre des victimes innocentes. Bien que leurs réponses divergent lorsque la question des atrocités de Daech est abordée, ils tendent à justifier le terrorisme et l’extrême violence par les commandements du Coran et la légitime défense d’une communauté agressée par l’impérialisme occidental. Même le 13-novembre, attentats ayant massacré indifféremment « mécréants » et musulmans, peut être justifié : « les musulmans ne vont pas dans les bars et ne soutiennent pas l’équipe de France » (p. 65). Et puis, le djihad forme la fraternité des combattants, qui prouve le sérieux de leur engagement. Mais la France apparaît finalement moins l’ennemie absolue que les chiites, figure du traître musulman.
Incarcérés, ces jeunes peuvent regretter les crimes et les attentats, mais restent pour la plupart déterminés dans leur foi et leur intransigeance doctrinale. La lecture de cet ouvrage finit par provoquer une inquiétude – « des ennemis déterminés et difficile à débarrasser de leur haine » – et une ouverture : bien des parcours tragiques pourraient être évités si le mal-être des jeunes des cités était traité en amont. Vaste programme. Nous inviterons à compléter la lecture par celui de David Thomson, Les Revenants (Paris, Seuil, 2016), qui traite du retour des Français partis rejoindre l’État islamique.