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Six années qui ont changé le monde (1985-1991)
Par Hélène Carrère d'Encausse - Paris, Fayard, 2015, 418p.
Professeure d’histoire et de science politique, entrée à l’Académie française en 1990, Hélène Carrère d’Encausse est l’un des plus grands spécialistes français de la Russie. À l’heure où ce pays se réaffirme sur la scène internationale, elle prend le pari de remonter le temps et de s’intéresser au moment charnière à l’origine de son éloignement : la chute, à l’issue des réformes entreprises entre 1985 et 1991, de l’Union des républiques socialistes soviétiques (URSS).
L’analyse de cet effondrement est conduite à travers deux figures tant rivales que complémentaires, mais en tout état de cause incontournables : Mikhaïl Gorbatchev et Boris Eltsine. En s’intéressant à leur personnalité, à leur formation et à leur parcours au sein de la nomenklatura, H. Carrère d’Encausse clarifie les positionnements de l’un et de l’autre, ainsi que de leurs camps respectifs, lorsque vient le temps de réformer l’Union. La figure
de M. Gorbatchev, révérée à l’Ouest et haïe à l’Est, est d’emblée éclairée : communiste convaincu, adepte autant de la réforme que du compromis, il se retrouve piégé et dépassé par les forces qu’il libère. Refusant de prendre position sur les grandes questions que ses réformes font émerger – nationalismes, pluralisme et répartition des pouvoirs entre centre et périphérie, notamment –, il bascule progressivement d’initiateur à spectateur des événements, avant de devenir la victime d’un éclatement dont il ne voulait pas.
Ne se contentant pas d’observer la dégradation générale de l’URSS par grandes étapes, H. Carrère d’Encausse s’intéresse à la mécanique d’ensemble, et précisément à chaque rouage dont l’action a participé à faire s’emballer la machine soviétique. Concernant les nationalismes, elle prend ainsi le temps de rappeler les origines des frontières, la diversité des républiques composant l’Union et les pluralismes ethniques et religieux ressuscités par la perestroïka. Au Caucase en particulier, le cas de la Géorgie est mis en exergue pour rappeler que les questions abkhaze et ossète ne datent pas de 2008, que les tensions durent depuis plusieurs décennies et que des violences avaient déjà éclaté en 1989. Les relations interpersonnelles, mâtinées d’ambitions et d’incompréhensions, ne sont pas non plus délaissées. Ainsi en va-t-il de celles conduisant les proches de M. Gorbatchev à progressivement s’éloigner de lui, notamment Edouard Chevardnadze, qui fut pourtant l’un de ses principaux ministres et ami. Enfin, l’académicienne traite longuement le chaos de la réforme institutionnelle qui, de l’établissement d’une présidence de l’URSS au processus de Novo-Ogarevo, a conduit à la scission et à la débandade du système communiste.
Accessible, l’ouvrage fourmille d’anecdotes et de faits mineurs souvent oubliés compte tenu de l’extrême densité de cette période historique. Néanmoins, le lecteur découvrant le sujet pourra être quelque peu désorienté par un plan qui, mêlant approche thématique et chronologique, l’obligera parfois à revenir sur certains passages afin de ne pas perdre le fil des événements. Par ailleurs, l’existence d’une quatrième partie traitant de la Russie post-URSS, passionnante au demeurant, peut surprendre dans la mesure où elle s’éloigne de la période d’origine. Elle aurait pleinement mérité un tome à elle seule, dédié justement aux conséquences de la chute de l’URSS sur la Russie et à la (re)construction de l’identité russe depuis 1990, et qui aurait pu se poser en troisième composant d’un triptyque entamé avec l’ouvrage précédent d’Hélène Carrère d’Encausse, La Russie entre deux mondes (Fayard, 2010).
S’il ne renouvelle pas l’historiographie de la période, Six années qui ont changé le monde se révèle donc un récapitulatif exhaustif et pertinent d’une période troublée, permettant d’éclairer les acteurs et les événements qui ont conduit à la chute brutale et inattendue de l’Empire soviétique.
L’analyse de cet effondrement est conduite à travers deux figures tant rivales que complémentaires, mais en tout état de cause incontournables : Mikhaïl Gorbatchev et Boris Eltsine. En s’intéressant à leur personnalité, à leur formation et à leur parcours au sein de la nomenklatura, H. Carrère d’Encausse clarifie les positionnements de l’un et de l’autre, ainsi que de leurs camps respectifs, lorsque vient le temps de réformer l’Union. La figure
de M. Gorbatchev, révérée à l’Ouest et haïe à l’Est, est d’emblée éclairée : communiste convaincu, adepte autant de la réforme que du compromis, il se retrouve piégé et dépassé par les forces qu’il libère. Refusant de prendre position sur les grandes questions que ses réformes font émerger – nationalismes, pluralisme et répartition des pouvoirs entre centre et périphérie, notamment –, il bascule progressivement d’initiateur à spectateur des événements, avant de devenir la victime d’un éclatement dont il ne voulait pas.
Ne se contentant pas d’observer la dégradation générale de l’URSS par grandes étapes, H. Carrère d’Encausse s’intéresse à la mécanique d’ensemble, et précisément à chaque rouage dont l’action a participé à faire s’emballer la machine soviétique. Concernant les nationalismes, elle prend ainsi le temps de rappeler les origines des frontières, la diversité des républiques composant l’Union et les pluralismes ethniques et religieux ressuscités par la perestroïka. Au Caucase en particulier, le cas de la Géorgie est mis en exergue pour rappeler que les questions abkhaze et ossète ne datent pas de 2008, que les tensions durent depuis plusieurs décennies et que des violences avaient déjà éclaté en 1989. Les relations interpersonnelles, mâtinées d’ambitions et d’incompréhensions, ne sont pas non plus délaissées. Ainsi en va-t-il de celles conduisant les proches de M. Gorbatchev à progressivement s’éloigner de lui, notamment Edouard Chevardnadze, qui fut pourtant l’un de ses principaux ministres et ami. Enfin, l’académicienne traite longuement le chaos de la réforme institutionnelle qui, de l’établissement d’une présidence de l’URSS au processus de Novo-Ogarevo, a conduit à la scission et à la débandade du système communiste.
Accessible, l’ouvrage fourmille d’anecdotes et de faits mineurs souvent oubliés compte tenu de l’extrême densité de cette période historique. Néanmoins, le lecteur découvrant le sujet pourra être quelque peu désorienté par un plan qui, mêlant approche thématique et chronologique, l’obligera parfois à revenir sur certains passages afin de ne pas perdre le fil des événements. Par ailleurs, l’existence d’une quatrième partie traitant de la Russie post-URSS, passionnante au demeurant, peut surprendre dans la mesure où elle s’éloigne de la période d’origine. Elle aurait pleinement mérité un tome à elle seule, dédié justement aux conséquences de la chute de l’URSS sur la Russie et à la (re)construction de l’identité russe depuis 1990, et qui aurait pu se poser en troisième composant d’un triptyque entamé avec l’ouvrage précédent d’Hélène Carrère d’Encausse, La Russie entre deux mondes (Fayard, 2010).
S’il ne renouvelle pas l’historiographie de la période, Six années qui ont changé le monde se révèle donc un récapitulatif exhaustif et pertinent d’une période troublée, permettant d’éclairer les acteurs et les événements qui ont conduit à la chute brutale et inattendue de l’Empire soviétique.