Cet ouvrage de grande qualité fait suite à l'ouvrage L'État des savoirs sur le développement paru il y a quinze ans. Ce bilan thématique actualise de manière heureuse quinze ans d'études et l'on voit apparaître une quatrième étape dans la pensée sur le développement. Le livre balaie certains discours et politiques sur le développement dans un contexte de globalisation et remet en cause la notion, tout en notant une normalisation des approches. Sont abordés les liens entre État, savoirs et politiques de développement (Y. Viltard), la notion de « développement » (J.-J. Gabas, l'évolution du big push et des trappes à pauvreté (V. Géronimi), le développement durable (G. Froger) et le développement et les peuples autochtones (I. Bellier). La seconde partie traite de champs analytiques pluriels ; l'urbain (Ch. Goldblum, A Osmont), le rural (E. Leroy), l'éducation (M. Vernières) et l'intégration régionale (Cl. Mainguy). L'ouvrage traite des tensions entre les savoirs académiques fondés sur des clivages disciplinaires et la nécessité d'une approche pluridisciplinaire utile pour le développement. On retrouve également des clivages disciplinaires entre des chercheurs réservés sur le concept de développement, et en faisant la critique d'un point de vue politiste (Y. Viltard) ou préférant en parler en tant qu'anthropologue (I. Bellier). D'autres contributions d'économistes telles celles de V. Géronimi, J.-J. Gabas, M. Vernières se placent au contraire dans le champ de l'économie du développement, quitte à en révéler les contradictions.
Le terme développement est controversé dans l'ouvrage. Largement utilisé, polysémique et controversé, il se situe au carrefour d'élaborations académiques, de savoirs d'experts, de la société civile et de décideurs politiques. Il apparaît comme apolitique et gomme les contradictions, les tensions et les conflits, et suppose que les acteurs peuvent élaborer un compromis à partir d'objectifs communs. Or, si les acteurs du développement (États, ONG, organisations internationales, entreprises..) trouvent leur légitimité dans leur volonté et action pour faire le « bien », alors que les communautés savantes veulent connaître, analyser et adopter souvent une attitude critique (Y. Viltard). Le concept de développement, parfois considéré comme étant hors du champ de la scientificité, est refusé par de nombreuses sciences sociales et fait au sein même de l'économie l'objet de vifs débats.
L'économie justement donne un éclairage partiel mais indispensable au processus complexe et multidimensionnelle de développement. Or, alors qu'émerge une nouvelle période de reconstruction ou de refondation dans un contexte de post ajustement et de globalisation, le champ disciplinaire de l'économie du développement éclate et il est très difficile de comprendre comment se définit un nouveau paradigme.
Le discours développementaliste a été paradoxalement souvent dévalorisé au moment même où le développement apparaissait caractériser un nombre croissant de zones peuplées. La période actuelle est marquée par une accélération du développement d'une partie du monde et un maintien ou une accentuation du sous développement dans les zones prises dans des trappes à pauvreté. De nouveaux termes sont utilisés tels celui d'émergence pour caractériser ce processus. Le nouveau contexte mondial remet en question les paradigmes qui ont fondé les relations Nord/Sud. La montée en puissance des pays émergents dans un contexte de financiarisation du capitalisme a modifié radicalement la donne. Elle aboutit à la constitution d'un second monde des capitalismes émergents modifiant les relations entre le Tiers Monde et le premier monde des capitalismes historiques (pays de l'OCDE).
Les processus de développement font sens, s'insèrent dans des représentations et ont des signification différentes. Les mots utilisés désignent ces processus. Dès lors que le développement renvoie à des processus différenciés, selon les sociétés et en fonction de leurs potentialités, et à la représentation qu'en font les agents la question du langage devient centrale. S'il n'y a pas de sens de l'Histoire, il y a des histoires auxquelles les hommes donnent sens et plusieurs trajectoires de sociétés pour construire leur modernité.
Ce livre vient à point pour nous rappeler la nécessité d'éclairages pluriels et l'importance de la question du sens.