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Russie, alliance vitale
Jean-Bernard Pinatel Choiseul, Paris, 2011,175 p.
C’est un petit livre, sorti il y a déjà quelques mois, mais sur lequel les critiques ne se sont guère penchés. À tort car l’ouvrage, qui prône la conclusion d’un partenariat fort entre l’Europe occidentale et Moscou, a le mérite de proposer à la diplomatie française une option audacieuse : un renversement d'alliances.
Officier parachutiste, blessé au feu, le général Pinatel a servi la France aux jours les plus durs de la Guerre froide. Fort d’une longue pratique de la Russie et de ses cercles dirigeants Jean-Bernard Pinatel est au fait des problématiques auxquelles est confronté ce pays. Mais aussi des atouts qu’il peut nous offrir dans le cadre d’une alliance étroite.
L’auteur part d’un constat simple. Si les intérêts américains et européens ont coïncidé de 1945 à 1985, des débuts de la Guerre froide à la période de Gorbatchev, ils ne sont plus aujourd’hui en phase alors que ceux des Européens de l’ouest et des Russes sont complémentaires.
Du point de vue économique d’abord. À l’ouest de l’Europe, l’UE se débat dans les affres de la crise grecque, tente de sauver la zone euro dans un contexte de croissance molle, voire de récession. Nous possédons les technologies les plus pointues, disposons encore de ressources financières confortables mais sommes en panne de relais de croissance, vulnérables à toute fluctuation des cours des matières premières. À l’Est, la Russie est parvenue à rebondir après la crise financière de 2008-2009. Mais son économie, toujours basée sur les ventes d’hydrocarbures, restera fragile tant que le nécessaire processus de diversification et de modernisation de ses actifs n’aura pas été mené à bien.
Dès lors, l’évidence s’impose : L’Europe occidentale dispose des moyens techniques et financiers qui font défaut à l’Europe orientale pour réussir sa mutation. Celle-ci offre en retour un marché de plus de 200 millions d’habitants[1], bien formés, sur lequel tout est à rebâtir après soixante-dix années d’incurie communiste. Elle possède aussi la capacité de nous assurer la sécurité énergétique à des prix convenant à chacune des parties. L’entente est logique.
Il en va de même en matière de politique étrangère et de défense. Que l’on soit à Paris, Berlin, Rome ou Moscou, les menaces sont les mêmes. Le fondamentalisme sunnite et ses mouvements terroristes d’une part, la montée en puissance de la Chine de l’autre.
Dans ce cadre la question de l’OTAN se pose. À nouveau paradigme, nouveaux instruments : quelle est aujourd’hui sa pertinence stratégique ? Instrument de guerre conçu pour combattre une ruée des blindés soviétiques en Allemagne, mais incapable de vaincre en Afghanistan ou en Libye, elle n’a plus aucune utilité. Honnie par les Russes, elle conforte les Européens dans leur volonté suicidaire de s’en remettre à Washington pour leur sécurité. Une perte d’autonomie stratégique que les États-Unis espèrent : tant que l’OTAN existera, l’Amérique sait que l’émergence d’une Europe de la défense et de l’armement, au potentiel très supérieur au sien, ne sera pas concevable. Or les États-Unis entendent précisément cantonner la « vieille Europe » au rang d’acteur de second rang afin de ne pas compromettre la direction bicéphale de la scène internationale qu’ils entendent imposer avec la Chine.
L’URSS à terre, Pékin a succédé à Moscou comme interlocuteur de référence dans l’esprit de Washington. Quant à la puissance européenne, elle s’enfonce lentement dans l’oubli. 700 millions d’habitants du détroit de Gibraltar à celui de Béring, les principales ressources agricoles, minières, énergétiques du monde, le plus grand potentiel économique et militaire sont autant d’atouts maîtres que les dirigeants européens, faute d’une vision stratégique lucide sont en train de gâcher. C’est ce suicide politique que le général Pinatel refuse. Avec quelques raisons d’espérer.
Car côté russe, on tend depuis longtemps la main aux autres nations européennes. Celles-ci, prisonnières d’une double construction politico-militaire UE-OTAN bridant leur diplomatie, commencent aujourd’hui à répondre à la Russie. Le contrat Mistral, les projets North Stream et South Stream en attestent. Mais il faut que le mouvement s’accélère. Il n’est pas encore trop tard.