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Retour du Tchad. Carnet d’une correspondante
Sonia Rolley Paris, Actes Sud, 2010, 176 p.
La jeune journaliste Sonia Rolley, pigiste pour RFI et l’AFP à N’Djamena, écrit avec ses tripes. C’est sa plus grande qualité. C’est aussi son plus grand défaut. Au retour du Tchad dont elle a été expulsée en mars 2008, elle a rédigé sous le coup de la colère à la première personne, d’une plume haletante et parfois un peu brouillonne, ces « carnets d’une correspondante ». Un brin paranoïaque, Sonia Rolley en veut à la terre entière.
Elle en veut au président Idriss Déby qui bâillonne la presse et embastille l’opposition, même si par moments, elle laisse deviner la fascination que suscite le courage guerrier dont l’ancien chef d’état-major de Hissène Habré sait faire preuve face au feu. Elle en veut aux chefs de guerre tchadiens qui enrôlent des enfants et s’entretuent dans l’Est du pays tandis que plus de 80 % de la population vit en-dessous du seuil de pauvreté.
Elle en veut à la communauté internationale qui se désintéresse du Tchad. Aux États-Unis qui ont réduit la guerre au Darfour à un génocide manichéen des « gentils Africains » par les « méchants Arabes » (p. 23) sans se donner la peine d’en comprendre la complexité. À la Banque mondiale qui avait signé avec le Tchad un accord historique pour l’exploitation du pétrole de Doba dans le Sud du pays mais qui n’a pas bronché quand le Président Déby, en mal de fonds, a dénoncé cet accord qui garantissait que les revenus du pétrole bénéficient aux générations futures.
Elle en veut aux humanitaires dévoyés de l’Arche de Zoé dont elle a suivi aux premières loges la pitoyable épopée, leur reprochant tout à la fois leur « BHL attitude » – « le côté « je-sauve-le-Darfour-sans-même-y-mettre-les-pieds » m’exaspère » (p. 105) – le soudain intérêt qu’ils suscitent en France – « si en Afrique, des Blancs sont arrêtés alors qu’ils cherchaient à emmener en France une centaine d’enfants noirs, voilà une histoire qui se vend » (p. 121) – et surtout l’énergie déployée par l’État français pour obtenir leur libération au mépris de la souveraineté tchadienne et de l’indépendance de sa justice – « Nicolas Sarkozy se comporte (…) comme si le Tchad était toujours la colonie qui devait se plier aux caprices de la métropole » fait-elle dire à un magistrat sommé de les faire libérer (p. 117).
Plus que tout en effet, c’est aux autorités françaises que Sonia Rolley en veut, qu’il s’agisse des diplomates, au premier rang desquels l’ambassadeur Bruno Foucher à qui la journaliste reproche d’avoir en sous-main conspiré à sa perte, ou des militaires qui « joue[nt] les cow-boys à bord de [leurs] jeeps » (p. 161). Le Tchad serait selon elle le dernier bastion de la Françafrique. Le comportement de la France lui est d’autant plus incompréhensible que celle-ci n’y a plus guère d’intérêts : Elf s’en est retiré en 1999 laissant aux Américains, aux Malaisiens et aux Chinois l’exploitation du pétrole. Pour expliquer le biais français en faveur de Déby, le soutien des diplomates et des militaires à ce régime autoritaire, Sonia Rolley a sans doute raison d’invoquer le syndrome de Stockholm, le poids des habitudes, la peur du chaos, la hantise de l’expansion soudanaise trop vite assimilée à une poussée islamiste. Elle est nettement moins convaincante quand elle se permet des allusions douteuses au régime de Vichy.
La force de ce témoignage enflammé, mais aussi sa faiblesse, est de nous en apprendre plus sur le métier de journaliste que sur l’histoire contemporaine du Tchad : comment se construit un réseau d’informateurs, comment comprendre les acteurs, recouper ses informations, lorsqu’on travaille pour une radio française qui jouit d’une immense légitimité en Afrique et qui, pour ce motif précisément, émet sous le contrôle tatillon des autorités. L’indignation et l’audace dont fait preuve cette jeune journaliste de 29 ans, qui pratique son métier au péril de sa sécurité, sont certes roboratives. Mais sa naïveté prête parfois à sourire et son témoignage tourne trop souvent au règlement de comptes. Un peu plus d’humilité, un peu plus de lucidité sur les responsabilités liées au fait d’être « entre le marteau et l’enclume » n’auraient pas été superflues.