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Responsabilité de protéger et guerres humanitaires : le cas de la Libye.
Nils Andersson, Daniel Lagot (dir.) LHarmattan, Paris, 2012, 155 p.
« Les interventions armées comme en Libye se présentent comme une manière de soumettre la force brute à un noble idéal humanitaire. La réalité est tout autre : ce sont les idéaux qui se trouvent instrumentalisés par les détenteurs de la force » (p. 148). La sentence du philosophe Tzvetan Todorov est sans appel : sous couvert du concept de « responsabilité de protéger », les puissances occidentales sont coupables de faire preuve de « messianisme politique » (p. 152) en instrumentalisant le droit humanitaire à des fins économico-stratégiques.
Issu d’une conférence organisée par l’Association pour le droit international humanitaire (ADIF) sur la Lybie, cet ouvrage rassemble les analyses croisées de juristes, de responsables d’ONG et de spécialistes des relations internationales quant à l’application de la résolution 1973, votée par le Conseil de sécurité des Nations unies en mars 2011. À l’heure où le dossier syrien accapare le travail diplomatique et l’attention médiatique, ce retour d’expérience sur les justifications juridiques de l’intervention en Libye associe à la fois réflexions théoriques sur la notion de « guerre juste » et évaluation des résultats sur les différents théâtres d’opération (Somalie, Kosovo, Irak, Libye, etc.).
Les intervenants mettent en relief la lame de fond qui traverse, de long en large, le droit international public depuis plusieurs décennies : l’avènement progressif du concept de « sécurité humaine ». Réclamé par les « French doctors »pendant la guerre du Biafra et théorisé par Mario Bettati et Bernard Kouchner, le recours à l’« ingérence humanitaire » s’est peu à peu imposé sur la scène internationale au détriment de l’inviolabilité des frontières et du strict respect de la souveraineté des États sur leur territoire.
En 1988, le vote de la résolution 43/131 par l’Assemblée générale de l’ONU a reconnu la nécessité de porter une assistance humanitaire aux populations victimes de catastrophes naturelles. En 1990, la résolution 45/100 dispose que des « couloirs d’urgence humanitaire » soient organisés à destination de ces populations en cas de « catastrophes naturelles et [de] situations d’urgence du même ordre ». En 2005, la notion de « responsabilité de protéger » apparaît dans le Document final du Sommet mondial de l’ONU afin de « protéger les populations contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique et les crimes contre l’humanité ».
Selon les mots d’Hubert Védrine, la communauté internationale a dès lors opéré un « passage du droit d’ingérence humanitaire à la responsabilité de protéger » (p. 55) en se réservant le droit d’intervenir dans les affaires internes d’un pays sous l’égide du chapitre VII des Nations unies. À l’aune de cette mise en perspective historique, le cas de la Libye et de l’application extensive de la résolution 1973 par les pays occidentaux est passé au peigne fin par des praticiens de l’aide humanitaire tel que Rony Brauman. D’autres cas pratiques où « des missiles humanitaires » (p. 131) ont été utilisés sont également évoqués comme le Kurdistan ou le Kosovo.
Malgré sa diversité, le panel des intervenants partage la critique du fonctionnement à géométrie variable du droit humanitaire. En l’occurrence, la destitution de Mouammar Kadhafi résulte davantage de la prise en compte des intérêts géostratégiques des puissances occidentales, plutôt que d’une lutte désintéressée menée au nom des valeurs démocratiques dans un monde post-westphalien. À ce titre, les populations de Tchétchénie, du Timor Oriental et de Sierra Leone n’ont pas reçu les mêmes faveurs de la communauté internationale. L’ouvrage pointe du doigt la myopie déformatrice des médias et la politique de « coups diplomatiques » des États qui tranchent avec la nécessité de construire la paix dans le long terme (« peace-building »). Synthétique et accessible, ce livre est à mettre entre toutes les mains de ceux qui souhaitent obtenir un éclairage critique et sans complaisance sur les justifications (légitimes ou non) des dernières opérations extérieures.