Cet ouvrage collectif au titre ambitieux a tout d'un pari réussi pour Charles-Philippe David et Benoit Gagnon. Les deux universitaires canadiens mettent à contribution leur point de vue sur les évolutions qui agitent les États-Unis post 11-Septembre pour proposer une radioscopie critique du terrorisme. Construit selon un plan simple et coordonné pour minimiser les redites inhérentes à ce type de projet, les 17 collaborations réunies ici forment une analyse exhaustive et pour le moins réaliste du terrorisme, en partant de la question qui monopolise – à tort – toute recherche approfondie sur le sujet : la menace terroriste est-elle intrinsèquement nouvelle ? La qualité des réponses qui sont apportées tient justement au fait que l'ensemble des auteurs partagent l'idée que « sans mémoire, tout est nouveau » (Maurice Roche, p. 272).
Ainsi, l'introduction apparaît pour le moins démystificatrice face à l'omniprésence d'un constat alarmiste et nécessairement réducteur. Charles-Philippe David et Benoît Gagnon rappellent simplement quelques données (provenant de ces mêmes agences de renseignements qui justifient toute nouvelle décision de l'exécutif américain) qui relativisent totalement l'idée que le terrorisme connaît une croissance fulgurante depuis la fin des années 1990.
La première partie aborde certaines questions épistémologiques qui n'ont encore été que peu traitées, prouvant d'ailleurs que la dépendance de ce champ à l'égard du journalisme d'investigation n'est en rien contradictoire avec une démarche scientifique de recherche en sciences sociales (voir notamment la contribution bouleversante de André Noël, qui livre ici le seul témoignage de l'ouvrage, mais aborde également une réflexion sur les « bases réelles » des groupes violents et son impact en termes d'utilisation ou non du terme « terroriste » pour les qualifier). Le cadre conceptuel est abordé avec objectivité : définitions concurrentes, montée du « nouveau terrorisme », objectifs « nihilistes », principe fondamentalement « asymétrique » de la menace se voient tous réservés un large traitement. On doit notamment souligner la pertinence de la contribution de Stéphane Leman-Langlois sur les contrastes et similitudes entre terrorisme et crime organisé, à l'heure où il est courant de voir tout « expert » du crime international s'arroger un droit de commentaire et de prescription quant à la réponse à apporter au terrorisme. En soulignant les conséquences de tels « glissements » de perception, l'auteur participe de la tonalité générale de cet ouvrage qui, sans verser dans une dénonciation gratuite des méfaits de la lutte contre le terrorisme, pose les risques mais aussi les raisons d'un amalgame pur et simple entre cybercriminalité et terrorisme.
La deuxième partie de l'ouvrage nous fait replonger dans les sources historiques du terrorisme, pour en extraire quelques constantes et spécificités. Là où Olivier Dard met nettement en perspective le « dilemme » de l'utilisation de la torture contre le « fléau du terrorisme », tout particulièrement dans la guerre d'Algérie, Valéry Thibeault fait découvrir, notamment à ceux qui ont tendance à concevoir le terrorisme selon le seul prisme « islamique », le terrorisme d'extrême droite au Canada, pour en souligner les effets de « victimisations aléatoires ».
Enfin, on peut remarquer le travail de Sabine Lavorel dans la dernière partie portant sur les « réponses à apporter », qui offre une approche équilibrée des relations entre la lutte contre le terrorisme et le droit international. Le livre n'étant pas un ouvrage consacré à cette question, on ne saurait lui reprocher de faire un bilan rapide (sur des questions finalement maintes fois abordées), en soulignant notamment les violations du jus in bellum par les États-Unis, au sujet desquelles elle propose de nouvelles clés de compréhension. À son crédit, il faut également porter la reconnaissance de ce que le droit international public ne fournit pas – à l'heure actuelle – de véritables outils pour lutter contre le terrorisme, opinion parfois jugée hérétique par les militants des Civic Rights. De même il est reconnu que l'argument de la « nécessité » dispose d'une valeur juridique effective– que la Commission du droit international (CDI) a d'ailleurs tenté d'intégrer à son célèbre projet de codification de la responsabilité étatique – ce qui ne manque pas d'interpeller le lecteur.
Repenser le terrorisme est un ouvrage complet dont la longueur est justifiée. Enfin, le fait que les contributions soient souvent basées sur des exemples canadiens permet étrangement au lecteur de réfléchir à des phénomènes relativement similaires à ceux observés aux États-Unis (problématique du « tout sécuritaire », rapport avec les médias, travail des agences de renseignement, coopération inter-étatique, etc.), mais en tenant à distance les a priori qui peuplent nécessairement l'imaginaire du lecteur occidental vis-à-vis des États-Unis et de leur traitement du terrorisme... Le Canada invite lui à la contemplation.