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Réinventer l’Occident
Hakim El Karoui Flammarion, Paris, 2010, 241 p.
Autrefois impérialiste et conquérant, l’Occident se sent aujourd’hui impuissant. En effet, dans un monde multipolaire, où émergent des puissances régionales continentales qui pèsent de plus en plus en termes économiques, culturels et démographiques, l’Occident doit se retrouver, se ranimer, se réinventer. Hakim El Karoui, normalien, enseignant, banquier et conseiller politique entre autres, porte un regard sur la triple crise, économique, politique et identitaire, qui mine l’Occident et pose les fondations d’un monde futur organisé, juste et partagé.
La désoccidentalisation du monde, même si elle est relative (p. 51), a commencé. Il s’agit de « ce phénomène qui fait de l’Occident un problème pour le reste du monde parce qu’il s’inquiète,[...] prend peur pour sa sécurité face à l’Islam, ne croit plus en la prospérité avec la montée de l’Asie, craint l’immigration venue d’Afrique et doute de sa cohésion politique et sociale » (p. 58). Ce sentiment n’est pas infondé, la crise est bien réelle. Crise du modèle économique européen tout d’abord. L’auteur rappelle qu’aux origines, cette crise s’explique en partie par la spécialisation des économies occidentales « aux deux extrémités de la chaîne de valeur ajoutée ». Il en va de même pour la crise de l’Euro et l’endettement abyssal des économies occidentales utilisé pour compenser la stagnation des salaires. Les responsabilités incombent évidemment aux dirigeants politiques de tous bords. Le réel problème est la faible croissance de nos sociétés qui entraîne la hausse des déficits (p. 36). Mais face à la stagnation des salaires et aux craintes des classes moyennes tirées vers le bas, la justification xénophobe fait irruption. Cette réponse inappropriée résonne tel un aveu de faiblesse des dirigeants, incapables de résoudre les problèmes d’ordre économique ; ce phénomène résulte de « l’anomie économique européenne » (p. 60).
Cependant, la problématique identitaire est révélatrice d’autres bouleversements en cours en Occident. L’auteur souligne que « les musulmans ne sont pas coupables » (p. 63) et analyse le modèle français d’assimilation comme une réussite (comme en attestent le nombre croissant de mariages mixtes, le fort sentiment d’appartenance des populations issues de l’immigration ou encore la réussite supérieure des enfants d’immigrés dans l’école républicaine française). Selon Hakim El Karoui, il est naturel que cette assimilation se fasse avec « heurts et fracas » dans la société d’accueil. Il convient toujours de rappeler qu’à l’origine de toute instabilité, le déterminant social est primordial et la xénophobie n’est jamais la réponse (p. 36).
Quant à l’analyse du monde extérieur, l’Occident s’est trompé. Bien que conscient des mesures protectionnistes mises en place par la Chine par exemple, l’auteur affirme que la réussite et la destinée des puissances émergentes sont liées aux nôtres. Mais la Chine ne risque t-elle pas d’instaurer un marché interne vertueux à l’avenir ? Les tensions sociales en Chine ne bouleverseront-elles pas la donne quant à la répartition de cette croissance économique qui ne bénéficie pas à tous ? L’Occident doit surmonter ses désillusions passées et accepter « une nouvelle globalisation dissymétrique, vallonnée, bosselée » (p. 136). Hakim El Karoui propose de réinventer collectivement à l’échelle nationale, européenne et occidentale, les sociétés pour affronter ce nouveau monde. Refonder tout d’abord une nation française, fondée sur le métissage (p. 235), la fraternité et l’identification (plus universelle et fédératrice que l’identité) et en faire un réel « plébiscite de tous les jours ». Dessiner un nouvel intérêt général européen, qui exige une régulation économique, afin de relancer la demande intérieure et la croissance. Définir un nouveau concept d’Occident au travers de quatre valeurs fondamentales : l’égalité, la vérité, la réciprocité et l’identification (p. 218). Voilà des axes fondamentaux selon l’auteur, cependant, il convient de s’interroger sur la pertinence d’un concept (« l’Occident ») en tant que source d’identification dès lors qu’il est porté par des identités en perpétuel mouvement et des trajectoires qui font fi des frontières.
À l’évidence, le monde de demain sera organisé en « grandes régions continentales, asiatique, américaine, européenne ou euro-méditerranéenne » (p. 226). L’enjeu et les valeurs dépassent les quelques ambitions individuelles de pouvoir.Hakim El Karoui clôt son ouvrage par un discours parce qu’un « discours est un acte politique » (p. 229) et parce que les mots sont des armes, mais ils préservent de la violence.À travers des références économiques, historiques et littéraires variées, Réinventer l’Occident est un appel qui s’inscrit dans un engagement plus global qui anime l’auteur, celui du rapprochement entre les peuples.