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Realpolitik: A History
Par John Bew - New York, Oxford University Press, 2016, 408p.
Au fil des événements et des périodes historiques, le mot « realpolitik » a indistinctement été utilisé comme un slogan, un label, une pratique politique, une posture, voire une catégorie d’analyse à la connotation négative. Souvent associée au cynisme et à l’absence de morale en politique, la realpolitik trouverait son double opposé dans la figure de l’idéalisme. Sur le plan intellectuel, l’origine de cette pratique est souvent associée au nom du penseur italien Nicolas Machiavel (1469-1527) – la filiation intellectuelle conduisant également à des figures politiques européennes telles que le cardinal de Richelieu, Talleyrand, Metternich, Bismarck.
Cependant, la notion de realpolitik appartient à une catégorie beaucoup plus complexe que le laissent penser sa familiarité et son usage commun. C’est tout l’intérêt du livre de John Bew que de retracer et de clarifier son histoire depuis son lieu de naissance dans l’Allemagne du XIXe siècle jusqu’à sa réappropriation de l’autre côté de l’Atlantique au cours du XXe siècle. En interrogeant l’évolution de ses différents sens et usages, l’auteur opère une clarification bienvenue au sujet d’une notion controversée en relations internationales, profondément marquée par les soubresauts diplomatiques et militaires des XIXe et XXe siècles.
L’auteur fait remonter l’apparition du mot, sinon de la pratique, au milieu du XIXe siècle, dans ce qui n’est pas encore l’Allemagne unifiée, sous la plume de Ludwig von Rochau, activiste politique, libéral et nationaliste, qui s’inquiète de l’état du pays – son ouvrage, Grundsätze der Realpolitik, angewendet auf die staatlichen Zustände Deutschlands, paraît en 1853. Pour J. Bew, historien au King’s College de Londres, la notion de realpolitik ne peut être comprise hors du contexte allemand et européen de l’époque et du processus de création d’État-nation. Il rappelle ainsi que « la création du concept de realpolitik correspond à une tentative de résoudre un problème de politique intérieure » (p. 17), et non de politique internationale. Pour L. von Rochau, l’enjeu politique principal était l’unification de l’Allemagne et la création d’un État-nation libéral en évitant le recours à la violence. La notion de realpolitik correspondait alors principalement à une méthode d’action visant à prendre en compte toutes les forces en présence dans ce processus politique et à trouver la meilleure voie pour atteindre l’objectif fixé, en l’espèce l’unité de l’Allemagne.
Mais le sens donné à la notion par L. von Rochau ne va pas perdurer longtemps et rapidement, celle-ci va être associée à la figure d’Otto von Bismarck, présenté depuis comme le père de la realpolitik cynique moderne en matière de politique étrangère – même si, comme le rappelle J. Bew, le chancelier conservateur de Prusse, puis d’Allemagne n’aurait jamais utilisé le mot.
Suivant l’évolution du mot et de la pratique, J. Bew détaille le processus par lequel la notion, connotée négativement, va finalement gagner la Grande-Bretagne au tournant du XXe siècle, avant de traverser l’Atlantique pour les États-Unis au moment de la Première Guerre mondiale. Depuis lors, la realpolitik a constamment fait partie des débats relatifs à la politique étrangère des États-Unis, gagnant en consistance au fur et à mesure que l’école réaliste américaine formalisait sa conception des relations internationales au sortir de la Seconde Guerre mondiale, sous la plume d’auteurs et universitaires comme Reinhold Niebuhr, Hans J. Morgenthau, Arnold Wolfers, ou de praticiens du département d’État comme George Kennan et, plus tard, Henry Kissinger.
Si la notion de realpolitik demeure marquée par le sceau du cynisme, J. Bew appelle pour sa part à la reconnecter avec ce qui était son sens initial – une méthode d’action fondée sur une analyse préalable des facteurs déterminant une situation donnée, une telle analyse devant servir la prise de décision afin d’atteindre un but précis. L’auteur consacre son dernier chapitre à la politique étrangère des États-Unis de la fin de la guerre froide à l’administration Obama, et tente ainsi de montrer l’actualité de la notion, particulièrement lorsqu’elle est utilisée sans nécessairement valoriser le cynisme ni l’opposer à la morale. Ainsi, des mots même du premier secrétaire général (Chief of staff) de la Maison-Blanche de l’administration Obama, Rahm Emanuel, la politique étrangère du 44e président états-unien fut empreinte de realpolitik. Toutefois, comme Barack Obama l’a expliqué dans de multiples discours et entretiens, l’un des fils conducteurs de sa politique étrangère, et par là même sa difficulté, consistait non pas à répondre au dilemme entre cynisme ou morale, réalisme ou idéalisme, interventionnisme ou isolationnisme, mais à se demander comment agir dans des situations géopolitiques complexes dans lesquelles les intérêts ou la sécurité nationale des États-Unis n’étaient pas directement en jeu.
En proposant un retour aux origines de la notion, qu’il décrit comme une forme de « liberal realism » (p. 8), J. Bew offre, à travers un livre dense et extrêmement documenté, une clarification en forme de réhabilitation.
Cependant, la notion de realpolitik appartient à une catégorie beaucoup plus complexe que le laissent penser sa familiarité et son usage commun. C’est tout l’intérêt du livre de John Bew que de retracer et de clarifier son histoire depuis son lieu de naissance dans l’Allemagne du XIXe siècle jusqu’à sa réappropriation de l’autre côté de l’Atlantique au cours du XXe siècle. En interrogeant l’évolution de ses différents sens et usages, l’auteur opère une clarification bienvenue au sujet d’une notion controversée en relations internationales, profondément marquée par les soubresauts diplomatiques et militaires des XIXe et XXe siècles.
L’auteur fait remonter l’apparition du mot, sinon de la pratique, au milieu du XIXe siècle, dans ce qui n’est pas encore l’Allemagne unifiée, sous la plume de Ludwig von Rochau, activiste politique, libéral et nationaliste, qui s’inquiète de l’état du pays – son ouvrage, Grundsätze der Realpolitik, angewendet auf die staatlichen Zustände Deutschlands, paraît en 1853. Pour J. Bew, historien au King’s College de Londres, la notion de realpolitik ne peut être comprise hors du contexte allemand et européen de l’époque et du processus de création d’État-nation. Il rappelle ainsi que « la création du concept de realpolitik correspond à une tentative de résoudre un problème de politique intérieure » (p. 17), et non de politique internationale. Pour L. von Rochau, l’enjeu politique principal était l’unification de l’Allemagne et la création d’un État-nation libéral en évitant le recours à la violence. La notion de realpolitik correspondait alors principalement à une méthode d’action visant à prendre en compte toutes les forces en présence dans ce processus politique et à trouver la meilleure voie pour atteindre l’objectif fixé, en l’espèce l’unité de l’Allemagne.
Mais le sens donné à la notion par L. von Rochau ne va pas perdurer longtemps et rapidement, celle-ci va être associée à la figure d’Otto von Bismarck, présenté depuis comme le père de la realpolitik cynique moderne en matière de politique étrangère – même si, comme le rappelle J. Bew, le chancelier conservateur de Prusse, puis d’Allemagne n’aurait jamais utilisé le mot.
Suivant l’évolution du mot et de la pratique, J. Bew détaille le processus par lequel la notion, connotée négativement, va finalement gagner la Grande-Bretagne au tournant du XXe siècle, avant de traverser l’Atlantique pour les États-Unis au moment de la Première Guerre mondiale. Depuis lors, la realpolitik a constamment fait partie des débats relatifs à la politique étrangère des États-Unis, gagnant en consistance au fur et à mesure que l’école réaliste américaine formalisait sa conception des relations internationales au sortir de la Seconde Guerre mondiale, sous la plume d’auteurs et universitaires comme Reinhold Niebuhr, Hans J. Morgenthau, Arnold Wolfers, ou de praticiens du département d’État comme George Kennan et, plus tard, Henry Kissinger.
Si la notion de realpolitik demeure marquée par le sceau du cynisme, J. Bew appelle pour sa part à la reconnecter avec ce qui était son sens initial – une méthode d’action fondée sur une analyse préalable des facteurs déterminant une situation donnée, une telle analyse devant servir la prise de décision afin d’atteindre un but précis. L’auteur consacre son dernier chapitre à la politique étrangère des États-Unis de la fin de la guerre froide à l’administration Obama, et tente ainsi de montrer l’actualité de la notion, particulièrement lorsqu’elle est utilisée sans nécessairement valoriser le cynisme ni l’opposer à la morale. Ainsi, des mots même du premier secrétaire général (Chief of staff) de la Maison-Blanche de l’administration Obama, Rahm Emanuel, la politique étrangère du 44e président états-unien fut empreinte de realpolitik. Toutefois, comme Barack Obama l’a expliqué dans de multiples discours et entretiens, l’un des fils conducteurs de sa politique étrangère, et par là même sa difficulté, consistait non pas à répondre au dilemme entre cynisme ou morale, réalisme ou idéalisme, interventionnisme ou isolationnisme, mais à se demander comment agir dans des situations géopolitiques complexes dans lesquelles les intérêts ou la sécurité nationale des États-Unis n’étaient pas directement en jeu.
En proposant un retour aux origines de la notion, qu’il décrit comme une forme de « liberal realism » (p. 8), J. Bew offre, à travers un livre dense et extrêmement documenté, une clarification en forme de réhabilitation.