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Ramallah Dream, voyage au cur du mirage palestinien
Benjamin Barthe Paris, La Découverte, 2011, 271 p.
Le 4 août 2009, l’éditorialiste du New York Times, Thomas Friedman, évoquait ce qui était pour lui rien de moins que « l’idée la plus excitante de tous les temps en matière de gouvernance arabe : je l’appelle fayyadisme », en référence à l’action du Premier ministre de l’Autorité palestinienne, Salam Fayyad, ancien du Fonds monétaire international. Pour Friedman, le fayyadisme est basé sur « cette notion simple mais tellement rare, selon laquelle la légitimité d’un leader arabe ne doit pas être fondée sur des slogans, ni sur le rejet, le culte de la personnalité ou les services secrets, mais sur la capacité à offrir aux citoyens des services et une administration transparente et redevable. » Dans les deux années qui s’ensuivirent, des dizaines de portraits hagiogaphiques de S. Fayyad furent publiés dans tous les grands organes de la presse américaine, jusqu’au 14 décembre 2011, date à laquelle le magazine Foreign Policy publiait un bref article intitulé « La fin du fayyadisme ». Deux semaines plus tard, le journal Al-Quds Al Arabi rapportait des propos du Président palestinien Mahmoud Abbas, qui disait refuser que l’Autorité palestinienne en soit réduite à devenir « un simple service de sécurité d’Israël, à l’image des milices d’Antoine Lahd et de Saad Haddad de naguère au Sud-Liban », référence aux milices collaborationnistes et supplétives d’Israël.
Que s’est-il passé ? De quoi Fayyad est-il le nom ? Quelle est la face obscure du pouvoir de Ramallah ? C’est à ces questions décisives que répond le livre de Benjamin Barthe, correspondant du Monde à Ramallah depuis dix ans. Le récipiendaire du prix Albert Londres de 2008 porte un regard sobre et ironique, lucide et désenchanté sur les rouages de l’Autorité palestinienne. Dès le deuxième chapitre, intitulé « La matrice coloniale », une anecdote donne le ton : chaque jour, la voiture de S. Fayyad traverse le barrage israélien de Beit El, à 200 mètres à peine de la zone autonome, et ce n’est qu’à ce stade que les services de sécurité palestiniens peuvent prendre en charge leur Premier ministre. « Ce manège biquotidien est l’une des mesquineries emblématiques de l’occupation israélienne » (p. 41) écrit B. Barthe. Plus encore, on pourrait voir cette anecdote comme révélatrice de la profonde inégalité des forces en présence, des rapports de sujétion permanents, de la souplesse de l’épine dorsale des dirigeants de Ramallah et plus largement de la faillite de ce que l’auteur appelle le « regressus de paix » (p. 225), avec ces « territoires en peau de léopard » (p. 42) créés par les accords d’Oslo et de Taba.
La question essentielle de la légitimité politique – celle de l’Autorité palestinienne dépendante d’Israël, et celle de la personne de S. Fayyad, plus appréciée par la communauté internationale que par ses concitoyens – n’est présente que de façon sous-jacente dans le livre, qui laisse le lecteur tirer ses propres conclusions. Mais comment oublier que, quelles que soient les qualités humaines ou managériales de S. Fayyad, il n’a obtenu que 2,3 % des voix en 2006, alors qu’il formait un ticket avec Hanan Ashrawi.
B. Barthe est à son meilleur lorsqu’il porte un diagnostic clinique de l’échec patent de la notion de paix économique et de la tentative de séparer le volet du développement de celui des questions de fond. Ses conclusions sont d’autant plus accablantes et percutantes que son ton demeure nuancé. Les dysfonctionnements institutionnels sont manifestes et le côté surréaliste toujours au rendez-vous, comme dans la description de ces douaniers dotés des équipements high-tech les plus sophistiqués, mais dénués des attributs les plus élémentaires de souveraineté qui leurs permettraient de faire leur travail. L’auteur décrit également la façon dont l’Autorité palestinienne vit sous perfusion économique permanente, grâce au soutien des donateurs étrangers, et signale que l’aide internationale est aussi un business juteux qui fait le bonheur des contractors privés. Certes, une élite a profité de la croissance (en réalité bien plus faible que claironné), mais au prix d’une dépolitisation croissante, de bulles et de déséquilibres structurels permanents. B. Barthe conclut en signalant le paradoxe qui a vu la montée en puissance de la métropole urbaine de Ramallah aller de pair avec la mort de l’embryon d’État palestinien.