See English version below « Ça s’est passé comme ça ». Ceci...
Qu’on nous laisse combattre, et la guerre finira. Avec les combattants du Kivu
Par Justine Brabant - Paris, La Découverte, "Cahiers libres", 2016, 248p.
Comment raconter l’atrocité des drames qui persistent depuis vingt ans dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) ? La démarche de la journaliste Justine Brabant, qui a enquêté sur le terrain pendant trois ans, est d’un courage inouï à la vue des dangers de la région.
Qui sont ces Mayi Mayi, dont on dit qu’ils pillent et qu’ils violent ? Pourquoi se battent-ils dans une série de conflits qui ont fait des millions de morts ? Comment sont-ils organisés ? Majoritairement agriculteurs et éleveurs, à l’occasion coupeurs de route, voleurs de bétail ou superviseurs de mines, ils prônent l’expulsion des Banyarwanda, ces rwandophones installés en RDC parfois depuis plusieurs générations ou venus après le génocide de 1994. Ils les considèrent comme une force d’invasion étrangère. Être Mayi Mayi n’est pas une vocation, mais une réponse à la violence par la violence. Alors que le Kivu est entré dans un cycle infernal de représailles, ils forment une cinquantaine de groupes armés. Ils se battent sous les ordres de leurs chefs, devenus des seigneurs de guerre ou des dirigeants politiques locaux, parfois aux côtés de l’armée régulière, elle-même composée d’anciens insurgés « intégrés », dans des alliances de circonstance, ou contre elle quand l’armée se déploie pour rançonner les civils, piller les villages, superviser les trafics de coltan et voler les récoltes. L’effectif total des combattants Mayi Mayi est impossible à établir. Ils seraient peut-être 30 000, mais l’auteur ne se risque à aucune évaluation.
On découvre dans ces chroniques, fort bien écrites au demeurant, tous les contrastes d’une situation sans issue. Bon nombre de jeunes résistants armés, à leurs heures perdues, sont eux-mêmes investis dans des associations locales de développement. Certains viennent d’organisations non gouvernementales (ONG) internationales. Des passerelles qui sont liées au fait que quand on est jeune au Kivu, un peu diplômé et un peu chômeur, les deux débouchés sont généralement la guerre ou l’humanitaire.
Justine Brabant ne dénonce pas trop durement l’impuissance des Nations unies, pourtant scandaleusement flagrante. Avec ses 20 000 casques bleus, la région accueille depuis 1999 la plus importante mission de maintien de la paix du monde, avec un budget annuel de plus de 1 milliard de dollars, avec si peu de résultats sur la sécurité des populations. En revanche, l’auteur est sévère envers les 300 organisations humanitaires locales ou internationales dont certaines, estime-t-elle, ont la fâcheuse manie de gonfler artificiellement leurs listes de victimes, citant un employé d’ONG : « c’est devenu un concours : celui avec le plus gros chiffres recevra les plus gros financements » (p. 181).
Le sens du sous-titre du livre vient de cette phrase d’un vieil homme rencontré dans un village concluant un entretien en disant « de toute façon, qu’on nous laisse combattre et la guerre finira ». Telle est la clé du paradoxe tragique de cette guerre : de plus en plus d’hommes s’engagent en pensant que c’est grâce à leur combat que le conflit se terminera, qu’il faut soi-même, à son tour, prendre les armes pour y mettre fin définitivement, et si besoin en étant encore plus violent que les précédents. L’auteur conclut par son impression d’avoir parcouru un monde absurde où les mots perdent leur sens et dont la devise serait : « la guerre c’est la paix, la paix c’est la guerre ! » (p. 235).
Qui sont ces Mayi Mayi, dont on dit qu’ils pillent et qu’ils violent ? Pourquoi se battent-ils dans une série de conflits qui ont fait des millions de morts ? Comment sont-ils organisés ? Majoritairement agriculteurs et éleveurs, à l’occasion coupeurs de route, voleurs de bétail ou superviseurs de mines, ils prônent l’expulsion des Banyarwanda, ces rwandophones installés en RDC parfois depuis plusieurs générations ou venus après le génocide de 1994. Ils les considèrent comme une force d’invasion étrangère. Être Mayi Mayi n’est pas une vocation, mais une réponse à la violence par la violence. Alors que le Kivu est entré dans un cycle infernal de représailles, ils forment une cinquantaine de groupes armés. Ils se battent sous les ordres de leurs chefs, devenus des seigneurs de guerre ou des dirigeants politiques locaux, parfois aux côtés de l’armée régulière, elle-même composée d’anciens insurgés « intégrés », dans des alliances de circonstance, ou contre elle quand l’armée se déploie pour rançonner les civils, piller les villages, superviser les trafics de coltan et voler les récoltes. L’effectif total des combattants Mayi Mayi est impossible à établir. Ils seraient peut-être 30 000, mais l’auteur ne se risque à aucune évaluation.
On découvre dans ces chroniques, fort bien écrites au demeurant, tous les contrastes d’une situation sans issue. Bon nombre de jeunes résistants armés, à leurs heures perdues, sont eux-mêmes investis dans des associations locales de développement. Certains viennent d’organisations non gouvernementales (ONG) internationales. Des passerelles qui sont liées au fait que quand on est jeune au Kivu, un peu diplômé et un peu chômeur, les deux débouchés sont généralement la guerre ou l’humanitaire.
Justine Brabant ne dénonce pas trop durement l’impuissance des Nations unies, pourtant scandaleusement flagrante. Avec ses 20 000 casques bleus, la région accueille depuis 1999 la plus importante mission de maintien de la paix du monde, avec un budget annuel de plus de 1 milliard de dollars, avec si peu de résultats sur la sécurité des populations. En revanche, l’auteur est sévère envers les 300 organisations humanitaires locales ou internationales dont certaines, estime-t-elle, ont la fâcheuse manie de gonfler artificiellement leurs listes de victimes, citant un employé d’ONG : « c’est devenu un concours : celui avec le plus gros chiffres recevra les plus gros financements » (p. 181).
Le sens du sous-titre du livre vient de cette phrase d’un vieil homme rencontré dans un village concluant un entretien en disant « de toute façon, qu’on nous laisse combattre et la guerre finira ». Telle est la clé du paradoxe tragique de cette guerre : de plus en plus d’hommes s’engagent en pensant que c’est grâce à leur combat que le conflit se terminera, qu’il faut soi-même, à son tour, prendre les armes pour y mettre fin définitivement, et si besoin en étant encore plus violent que les précédents. L’auteur conclut par son impression d’avoir parcouru un monde absurde où les mots perdent leur sens et dont la devise serait : « la guerre c’est la paix, la paix c’est la guerre ! » (p. 235).