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Que veut la Turquie? Ambitions et stratégies internationales
Gilles Dorronsoro Paris, Autrement, 2009
Que veut la Turquie? Ambitions et stratégies internationales est un ouvrage de synthèse qui propose des grilles de lecture de la politique extérieure turque. Loin d’être indépendantes des enjeux domestiques, les stratégies internationales de la Turquie dépendent au contraire des débats intellectuels et des politiques internes.
Gilles Dorronsoro commence par nous délivrer des clefs d’interprétation de la politique extérieure turque. Les questions relatives à l’identité nationale turque ne sont pas sans impact sur les positionnements internationaux, de même que le « syndrome de Sèvres » à l’origine d’un complexe d’insécurité qui conduit une partie de la population à craindre un complot, d’origine extérieure et soutenu par des groupes intérieurs, visant à diviser la communauté et le territoire national. Le génocide arménien et la question kurde sont, ainsi, perçus par certains comme des inventions de puissances étrangères afin de déstabiliser et d’affaiblir la Turquie.
L’auteur nous présente les trois principaux courants idéologiques qui façonnent le débat intellectuel national et incluent tous une vision particulière de la politique et du rôle international de la Turquie. Tandis que le panturquisme a pour bases théoriques « un projet nationaliste regroupant les peuples turcs de l’Empire ottoman et de l’Empire russe », le courant nationaliste consiste en un rejet de l’impérialisme occidental conjugué à un repli identitaire. Le troisième courant principal du débat intellectuel national est l’islamisme ou plutôt la « synthèse turco-islamiste » qui prône une adaptation technique à l’Occident et préconise le maintien d’un État fort, capable de préserver la culture et l’identité nationale. Tous ces courants idéologiques convergent sur l’importance pour la Turquie de s’ouvrir à de nouveaux partenaires et de devenir un État pivot, une puissance multirégionale.
L’auteur analyse ensuite la palette d’acteurs qui concrétisent la politique internationale turque et les rapports que ceux-ci entretiennent. Loin d’être monocéphale, la politique extérieure est mise en œuvre par une multitude d’acteurs, publics – armée, exécutif, diplomatie – et privés – think-tanks, lobbies, groupes communautaires –, qui, bien souvent, se trouvent en concurrence. Si l’armée a longtemps occupé une place centrale dans la définition de la politique internationale il semble que son rôle se soit progressivement marginalisé alors que la cohésion de l’exécutif se renforce.
Les relations entre la Turquie et les États-Unis, d’une part, et l’Union européenne d’autre part, sont analysées au sein de deux chapitres. Il s’agirait en fait d’une relation triangulaire, Ankara se rapprochant de Bruxelles au gré des tensions avec Washington, au sujet notamment de la politique américaine au Moyen-Orient. Le gouvernement turc a adopté aujourd’hui une position plus pragmatique qu’émotionnelle dans ses relations avec l’UE, fort de l’importance que lui confère son rôle potentiel de corridor énergétique quand Bruxelles cherche à s’autonomiser de Moscou et refuse de coopérer avec Téhéran.
Enfin, l’auteur nous rappelle que si l’Occident est un partenaire majeur de la Turquie, il n’est pas le seul. La politique internationale turque se veut aujourd’hui régionale et globale. Depuis la fin de la guerre froide, la Turquie s’ouvre et s’investit dans les pays arabes ainsi que dans les États postsoviétiques, mobilisant pour l’occasion, selon les contextes et les événements, les répertoires identitaires de la turcité et de la solidarité musulmane. Dans un même temps, elle se veut un partenaire politiquement et commercialement fiable, à même de jouer un rôle central sur la scène internationale.
Grâce à une perspective historique et à une étude approfondie des courants intellectuels structurants de la politique domestique et internationale, l’ouvrage de Gilles Dorronsoro nous donne à comprendre quels sont les enjeux et les problématiques actuels de cet État sur la scène internationale et les stratégies misent en œuvre afin de servir ses intérêts dans un monde multipolaire. Il nous semble cependant regrettable que l’auteur n’évoque pas plus la dimension compétitive des relations turco-iraniennes.