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Quai d’Orsay. Chroniques diplomatiques (tome 2)
Christophe Blain, Abel Lanzac Dargaud
Il y a bien des façons de décrire la politique étrangère de la France et ceux qui la font. La bande dessinée n’est pas la plus frivole comme le démontre la magistrale réussite de ces « Chroniques diplomatiques ». Leur lecture divertissante en apprend autant sinon plus sur le Quai d’Orsay que certaines études austères consacrées à ce sujet.
Forts du succès du premier tome publié début 2010 et bientôt porté à l’écran par Bertrand Tavernier, Abel Lanzac, pour le texte, et Christophe Blain, pour l’image, récidivent. On retrouve avec délectation l’hyperactif Alexandre Taillard de Worms, double à peine déguisé de Dominique de Villepin, et tous ses collaborateurs du ministère des Affaires étrangères. Là où le premier tome multipliait les saynètes au risque de la dispersion, le deuxième a plus d’unité : il y est question de la guerre imminente avec le Lousdem (même si le mot est truculent pourquoi ne pas appeler un chat un chat et évoquer sans ambages l’Irak ?) et des efforts déployés par la France pour l’éviter.
Comme dans le premier tome, l’action est racontée du point de vue de ces collaborateurs de cabinet, qu’il est d’usage de caricaturer en technocrates prétentieux et serviles. A. Lanzac (ce pseudonyme cache la « plume » de Villepin qu’il accompagna au Quai puis à Matignon avant de rejoindre le réseau culturel français à l’étranger) évite cet écueil. Il se donne le rôle du Candide en interprétant Arthur Vlaminck, un jeune normalien fraîchement recruté par le ministre pour rédiger ses discours et encore peu au fait des us et coutumes diplomatiques. À ses yeux, le Quai d’Orsay ressemble certes à une maison de fous : les diplomates travaillent comme des déments, s’écharpent sur des virgules et ont un ego surdimensionné. Mais leur intelligence aiguisée, leur dévouement total à leur ministre et à leur pays et leur professionnalisme pointu sont la meilleure réponse à la caricature facile d’une diplomatie Ferrero Rocher. À la différence de certains romans à clés où la fiction autorise l’auteur à quelques règlements de comptes, le regard porté par l’auteur sur les Vimont, Laboulaye, Farnaud ou Felix-Paganon est toujours empathique.
C. Blain réussit l’exploit de capter l’essence d’un Villepin pourtant physiquement peu ressemblant, héros paradoxal d’un album dont il est le centre mais dont il semble pourtant vouloir toujours s’échapper. Il court, il discourt, il éructe, il fulmine, il surgit, il s’en va… mais on ne sait jamais ce qu’il ressent. On ne saisit de lui que ce qui en est montré. Les couvertures des deux tomes le présentent minuscule, dans un décor immense et écrasant. La leçon est la même que celle du film de Pierre Schoeller, L’exercice de l’État : le pouvoir est solitaire.
Cette bande dessinée rend-elle Villepin plus sympathique ? Par bien des aspects, le personnage est insupportable. Les pages qui le décrivent au Club Med pérorant sur la marche du monde devant un groupe de touristes mi-hilares mi-fascinés sont parmi les plus drôles de l’album. Pourtant, à l’instar du Chichi des Guignols de l’info, les défauts du personnage finissent par le rendre attachant. Sa fougue, son énergie, sa hauteur de vues ne peuvent laisser indifférents. Quai d’Orsay est à mille lieues de l’affaire Clearstream.
Plus de 110 000 exemplaires du tome I ont été vendus. On peut escompter un succès similaire pour le tome II, bien servi par une campagne de presse efficace et par un remarquable bouche-à-oreille. C’est une réussite inespérée pour une BD a priori réservée à un petit cercle d’insiders. Elle est révélatrice de l’intérêt que suscitent la diplomatie – et son élaboration – auprès d'un large public dès lors qu’elles lui sont expliquées avec intelligence et humour.