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Pour la prochaine gauche
Michel Wieviorka Paris, Robert Laffont, 2011, 286 p.
En publiant Pour la prochaine gauche, Michel Wieviorka poursuivait un objectif affiché : s'appuyer sur les sciences sociales pour aider à bâtir un projet politique de gauche. Pour ce proche de Martine Aubry – c’est elle qui lui a suggéré le titre de « prochaine gauche », il faut réinventer une logique intellectuelle qui dépasse les débats autour de la « seconde gauche », terme qui date du monde bipolaire. Certes, les exigences de la politique et des sciences sociales ne sont pas les mêmes. La première appelle à des compromis, les secondes sont nécessairement critiques, mais ceci n'interdit pas de créer des dynamiques communes. Les sciences sociales permettent une meilleure connaissance des situations réelles, au-delà des débats idéologiques. C'est, par exemple, une affirmation idéologique de déclarer que les migrants prennent le travail des nationaux. Les sciences sociales permettent au contraire de montrer qu'ils prennent les emplois dont ne veulent pas les nationaux et que, loin d'être coûteux à l'économie, ils apportent une contribution décisive à la croissance du PNB.
C’est autour des problèmes d’intégration que M. Wieviorka centre son livre. Il prend des positions qui détonnent par rapport à l’air du temps, mais qui sont en fait fidèles à une tradition humaniste de la France et à son rayonnement international.
Pour M. Wieviorka, la question des identités multiples transnationales est désormais incontournable « ce n'est pas être communautariste pour un élu local que de tenir compte de ces données culturelles liées à l'origine, c'est être réaliste. »
La prochaine gauche ne doit pas se contenter d'un savoir actif mais doit puiser dans les ressources qu'offrent les sciences sociales. Il rappelle que les migrants sont désormais connectés et intégrés au processus de mondialisation, en continuité avec leur univers d'origine et ancrés dans celui d’accueil.
Pour la prochaine gauche plaide pour une France ouverte, faisant des efforts pour mieux accueillir les étrangers, évitant de les pousser dans des logiques de clandestinité et renouant avec des valeurs qui ont fait de la France une nation universaliste, adressant un message humaniste au monde entier. L’ouvrage se positionne à l’opposé d’une certaine vision de l’intégration, que défendent certains intellectuels et responsables politiques, qui somment les immigrés de s’y plier sans toutefois leur en offrir les moyens ni créer les conditions favorables. L'intégration devient alors une formule incantatoire dont la réalisation se résume à la répression policière. Évoquant les émeutes de 2005, l’auteur y voit la révolte de jeunes largement issus de l'immigration, vivant dans un pays qui leur promet la liberté, l’égalité et la fraternité mais qui, dans la réalité, ne leur propose que discriminations, exclusion sociale, chômage massif et ghettoïsation. Il s’oppose donc à une vision restrictive de la laïcité qui, au fond, a pour résultat (ou pour dessein) de stigmatiser les musulmans. Une vision qui revient à brandir l'étendard de la laïcité comme un slogan, un principe abstrait qui ignore les faits et la réalité sociale du pays ainsi que les transformations du monde.
Pour M. Wieviorka, la prochaine gauche « n'est pas obsédée par le projet d'écraser l’infâme ». Il se prononce explicitement en faveur d'une reconnaissance de l'islam et s’inquiète des mesures, en particulier législatives, qui semblent viser tout particulièrement cette religion, même si elles sont formulées en termes généraux. Il y a deux dangers, estime-t-il, le communautarisme d'une part, et de l'autre, l'universalisme abstrait. Lui qui se félicitait de l'échec du débat sur l'identité nationale lancé par le gouvernement fin 2009 et du virage sécuritaire de l'été 2010, a été rattrapé par la percée de Marine Le Pen dans les sondages, le lancement du débat sur l'islam et les déclarations du député UMP de Seine-et-Marne proposant de remettre les immigrés dans des bateaux.