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Politique et mouvements sociaux au Maroc. La révolution désamorcée ?
par Frédéric Vairel - Paris, Presses de Sciences Po, 2014, 361p.
Le projet du politologue Frédéric Vairel est ambitieux. Son ouvrage, fruit d’une thèse de science politique, entreprend d’examiner la façon dont le pouvoir marocain a géré, depuis l’indépendance du pays, une contestation politique et sociale qui ne s’est jamais démentie. D’emblée, le chercheur démarque son propos des analyses classiques sur la capacité d’intégration des élites contestataires par le Makhzen – l’appareil du pouvoir monarchique – et sur la légitimité qu’offre à l’occupant du trône chérifien son titre de commandeur des croyants. Il s’attache ainsi à démontrer, tout au long de son ouvrage, que violence et coercition ont été, dès l’origine, les piliers de ce régime, bien davantage que la religion. Logiquement donc, l’essentiel de sa recherche, issue d’une immersion de trois années dans le monde des oppositions marocaines, consiste à décrire les façons dont on peut protester en contexte autoritaire. Le sujet étant vaste, il a choisi, pour ce faire, de s’attarder sur trois champs qui ont configuré la protestation dans le Royaume au cours du dernier demi-siècle : la défense des droits humains, les revendications féministes et l’islam politique.
Il en résulte de nombreuses pages à la fois richement documentées et à l’analyse originale sur le passage des militants marxistes-léninistes au registre des droits humains, ou sur le parallélisme des itinéraires des militants gauchistes et de ceux issus de la matrice islamiste. L’auteur inventorie aussi, dans ce contexte, la multiplicité des « répertoires d’action collective », qu’il tente de classifier. Quelques stimulants passages, que l’on aurait souhaités plus développés, critiquent le lien fait presque automatiquement par de nombreux commentateurs entre précarité sociale et islam politique, la chose étant beaucoup plus complexe que ne voudrait le faire entendre ce réductionnisme. De même, l’analyse de la proximité entre islam officiel et corpus islamiste est riche d’enseignements politiques. Enfin, l’étude incisive de l’impact de l’aide internationale sur les activités militantes et associatives aurait mérité un plus long commentaire.
Mais la richesse et la minutie de cet ouvrage souffrent de deux faiblesses. La première, compréhensible pour un spécialiste mais dommageable pour un lecteur, est qu’il sera difficilement accessible à ceux qui s’intéressent à ce type de problématiques sans connaître le Maroc. La mise en contexte chronologique et géographique du féminisme marocain et des partis islamistes est traitée un peu trop rapidement pour être compréhensible des non-spécialistes. Le choix d’ancrer la description de la situation marocaine autour de thématiques accentue cette faiblesse, dans la mesure où il conduit à de constants allers-retours chronologiques, empêchant parfois de saisir l’évolution globale du régime. Ainsi, l’étude revient à de trop nombreuses reprises sur les polémiques de 1999 autour du Plan d’intégration de la femme au développement – par ailleurs justement analysé –, si bien qu’il est difficile de saisir l’économie globale de cette importante séquence de l’enjeu féminin dans la politique marocaine.
Pour autant, et avec des outils différents de ceux de la « maroccologie » institutionnelle, l’auteur donne à comprendre les méthodes par lesquelles ce qu’il ne veut pas appeler le Makhzen parvient à incorporer une partie non négligeable des élites contestataires, tout en continuant à réprimer leurs segments non assimilables. Réformer pour éviter de démocratiser : telle est, selon lui, la devise implicite de la monarchie chérifienne, avec cependant des méthodes différentes, et même une mise en scène de la rupture entre Mohammed VI et l’héritage de Hassan II. Peut-être, cependant, cette succession de réformes parviendra-t-elle à ouvrir suffisamment le champ politique pour qu’une démocratisation réelle s’impose enfin. Pour F. Vairel, on n’en est pas encore là.
Il en résulte de nombreuses pages à la fois richement documentées et à l’analyse originale sur le passage des militants marxistes-léninistes au registre des droits humains, ou sur le parallélisme des itinéraires des militants gauchistes et de ceux issus de la matrice islamiste. L’auteur inventorie aussi, dans ce contexte, la multiplicité des « répertoires d’action collective », qu’il tente de classifier. Quelques stimulants passages, que l’on aurait souhaités plus développés, critiquent le lien fait presque automatiquement par de nombreux commentateurs entre précarité sociale et islam politique, la chose étant beaucoup plus complexe que ne voudrait le faire entendre ce réductionnisme. De même, l’analyse de la proximité entre islam officiel et corpus islamiste est riche d’enseignements politiques. Enfin, l’étude incisive de l’impact de l’aide internationale sur les activités militantes et associatives aurait mérité un plus long commentaire.
Mais la richesse et la minutie de cet ouvrage souffrent de deux faiblesses. La première, compréhensible pour un spécialiste mais dommageable pour un lecteur, est qu’il sera difficilement accessible à ceux qui s’intéressent à ce type de problématiques sans connaître le Maroc. La mise en contexte chronologique et géographique du féminisme marocain et des partis islamistes est traitée un peu trop rapidement pour être compréhensible des non-spécialistes. Le choix d’ancrer la description de la situation marocaine autour de thématiques accentue cette faiblesse, dans la mesure où il conduit à de constants allers-retours chronologiques, empêchant parfois de saisir l’évolution globale du régime. Ainsi, l’étude revient à de trop nombreuses reprises sur les polémiques de 1999 autour du Plan d’intégration de la femme au développement – par ailleurs justement analysé –, si bien qu’il est difficile de saisir l’économie globale de cette importante séquence de l’enjeu féminin dans la politique marocaine.
Pour autant, et avec des outils différents de ceux de la « maroccologie » institutionnelle, l’auteur donne à comprendre les méthodes par lesquelles ce qu’il ne veut pas appeler le Makhzen parvient à incorporer une partie non négligeable des élites contestataires, tout en continuant à réprimer leurs segments non assimilables. Réformer pour éviter de démocratiser : telle est, selon lui, la devise implicite de la monarchie chérifienne, avec cependant des méthodes différentes, et même une mise en scène de la rupture entre Mohammed VI et l’héritage de Hassan II. Peut-être, cependant, cette succession de réformes parviendra-t-elle à ouvrir suffisamment le champ politique pour qu’une démocratisation réelle s’impose enfin. Pour F. Vairel, on n’en est pas encore là.