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Planet India, l’ascension turbulente d’un géant démocratique
Mira Kamdar Arles, Actes Sud, 2007
Mira Kamdar est Senior fellow à la World Policy Institute et Asian Society. Son dernier essai Planet India déjà traduit en six langues, suit un précédent succès[1] retraçant ses mémoires sur son passé avec l’Inde. M. Kamdar est en effet fille de père indien et de mère danoise. Elle vit aujourd’hui aux États-Unis. Ce passé explique son enthousiasme à dépeindre un pays qui lui est cher et qu’elle perçoit comme un incontournable colosse économique.
Avec un taux de croissance de 9,2 %, une population de 1,2 milliard d’habitant (population la plus jeune du monde) et une classe moyenne aussi grande que la population des États-Unis, il est difficile d’ignorer l’Inde en matière de géopolitique bien que la Chine continue de monopoliser les commentaires médiatiques.
Le premier chapitre est intéressant pour ce fait. M. Kamdar y décrit la communauté indienne et son rôle aux États-Unis, qu’elle qualifie de nouvelle force politique puissante (p. 57). Les liens économiques entre les deux pays, souvent sous-estimés, sont en fait plus importants qu’on ne le pense.
Le deuxième chapitre « L’Inde imagine son avenir » est riche d’enseignements pour qui veut comprendre le phénomène grandissant du bollywood ainsi que le rôle exceptionnellement puissant que joue la télévision dans la transformation de l’Inde depuis son lancement par le gouvernement en 1959. Le but initial de l’unique chaîne nationale était de contribuer à former et unifier une nation. En 1983, l’accès à la télévision touchait à peine 28 % de la population. Depuis 1991, date de l’ouverture de l’Inde, l’explosion médiatique a envahi les foyers. C’est maintenant 90 % des Indiens qui ont accès à plus de 350 chaînes internationales. « La télévision a été une force en faveur de la démocratisation des aspirations. » (p. 79).
Les cinq autres chapitres retracent les différentes autres facettes du grand boom économique indien. Les sujets aussi divers que la politique, l’agriculture, les castes, l’éducation, le problème urbain versus rural, la santé ainsi que le problème du nucléaire ou du terrorisme y sont présentés.
Le lecteur est emporté au travers une Inde qui prospère, mais il est aussi invité à garder en mémoire qu’elle n’est pas uniquement un pays qui sait réduire ses coûts de production grâce à l’innovation, ou être le plus grand pays d’accueil en matière d’outsourcing. Des entreprises comme Infosys ou Tata ne doivent pas illusionner. En effet, il existe une Inde pauvre qui est bien réelle. La croissance de l’Inde a été fulgurante mais aussi inégale. Pas moins de 800 millions d’Indiens vivent avec moins de 2 dollars par jour. L’état de l’éducation décrit dans le chapitre 5 (p. 233-245) reste alarmant malgré les efforts prometteurs de certaines ONG comme Azim Premji. 53 % des femmes et 30 % des hommes sont analphabètes comme le sont encore 26 % des jeunes âgés de 15 à 25 ans.
Les problèmes sanitaires exposés dans le chapitre 6 sont particulièrement révélateurs de cette Inde de la misère et de la maladie. Mais il existe aussi un énorme potentiel. Particulièrement captivant est l’exemple du Dr Shetty et de son hôpital cardiologique Narayana Hrudayalaya à Bangalore. Il y utilise les technologies les plus avancées pour réduire les coûts des traitements cardiaques et les rendre accessibles aux démunis des zones rurales du Karnataka via des diagnostiques à distance et une télé-médicine avec les médecins de l’hôpital général. M. Kamdar conclut son ouvrage en soulignant que la situation critique des pauvres et leur séduction possible par « les promesses de la force brutale » est l’épée de Damoclès du rêve indien en pleine évolution. Mais, « si nous avons la chance d’assister à une véritable renaissance indienne, la réinvention de l’Inde sera un exemple pour réinventer le monde » (p. 320).
De lecture facile, cet essai s’adresse plutôt aux novices de l’Inde. La passion de l’auteur est ressentie tout au long du texte. La documentation est rigoureuse et les faits décrits sont nombreux. Les multiples anecdotes et citations d’interviews rendent le texte vivant mais plutôt sous un angle d’un collage d’information qu’une réelle analyse.
L’ouvrage est un excellent snap-shot du moment présent mais avec un risque d’obsolescence relativement rapide. C’est donc un livre à lire maintenant pour quiconque veut en savoir plus sur l’Inde dont les ouvrages de ce style restent encore rares sur le marché français. Il est un bon complément d’un autre essai Le défi indien et aussi traduit de l’anglais par André Lewin[2]éconstruction d’une multitude de mythes, de clichés et d’images fabriqués et véhiculés par des marchands de rêve. . Cet autre livre présente de nombreuses clés de lecture de la situation actuelle de l’Inde et du comportement de sa population via une d
[1]. Motiba’s Tattoos : A grand-daughter’s journey from America into her Indian Family’s Past, Barnes&Noble, 2000.
[2]. Pavan K. Varma, Le Défi indien, Pourquoi le xxie siècle sera le siècle de l’Inde, Arles, Actes Sud, 2005. Voir la recension de cet ouvrage réalisée par Marie-Aimée Tourres, La Revue internationale et stratégique, n° 65, printemps 2007, p. 203-204.