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Petite histoire de l’Afrique. L’Afrique au sud du Sahara, de la préhistoire à nos jours
Catherine Coquery-Vidrovitch La Découverte, Paris, 2011, 222 p.
Ce livre répond à deux défis majeurs concernant le continent africain. Premièrement, éviter de ne présenter que les aspects les plus chaotiques des dynamiques contemporaines (conflits, pauvreté) et s’atteler à déconstruire les idées reçues et les clichés. Deuxièmement, de façon plus conjoncturelle, répondre à des flambées de conservatisme et de racialisation, à l’instar du « détestable discours prononcé par Nicolas Sarkozy à Dakar » (p. 16) en juillet 2007, qui a atteint de tels sommets de méconnaissance et de mépris qu’il suscite encore des réactions d’universitaires près de quatre ans plus tard[1]. Le contenu de ce discours fournit donc un prétexte pour montrer par quelles multiples voies l’homme africain est entré dans l’histoire. À la façon de Fernand Braudel, l’auteur présente les dynamiques du temps long et les enjeux liés aux ressources et à l’espace, en établissant les corrélations entre les variations climatiques (pluviométrie, hydrographie), la maîtrise des techniques agricoles, les mouvements de population (tant sur le plan démographique que migratoire) et les échanges commerciaux.
« L’évolution des structures sociales » (chapitre 4) aborde à la fois les modes d’organisation familiale, de régulation sociale, les rapports à la terre et à une économie de subsistance qui n’a pas empêché les sociétés africaines d’être pleinement insérées au commerce mondial. Le chapitre suivant le montre bien (« l’Afrique au sud du Sahara dans l’histoire de la mondialisation ») en rappelant combien le commerce de l’or fit « la grandeur successive des empires africains médiévaux (Ghana, Mali, Songhaï) qui établirent leur puissance sur ce commerce international » (p. 87). L’or était échangé contre le sel qui faisait défaut sur le continent et a contribué à la prospérité occidentale, en devenant le moteur de l’économie internationale de l’époque, notamment en lui fournissant un instrument monétaire (p. 91). C. Coquery-Vidrovitch reprend ainsi plusieurs fois le thème des matières premières et de l’exploitation des ressources pour montrer la complexité des dynamiques en jeu. Elle aborde la traite atlantique des esclaves en prenant bien soin de consacrer un chapitre à l’esclavage africain aux origines plus anciennes et responsable de la déportation de millions d’Africains vers le monde méditerranéen et vers l’océan indien. Elle montre les enchâssements entre dynamiques internes et externes en rappelant que l’abolition de l’esclavage européen a eu pour conséquence une aggravation de l’esclavage interne : avec la fermeture du marché atlantique, les pouvoirs locaux ont utilisé les captifs présents « pour renforcer leurs armées et leur production, si bien qu’à la fin du xixe siècle la moitié des Africains peut-être étaient des esclaves, pourcentage probablement très supérieur à ce qu’il était un siècle auparavant » (p. 129).
L’auteur parvient dans ce livre à casser le découpage réducteur entre histoire pré-coloniale, histoire de la colonisation et histoire post-coloniale en montrant l’ancienneté des rapports du continent africain avec le reste du monde et notamment avec les (futures) puissances coloniales. De même, elle dépasse la parcellisation régionale du continent pour s’intéresser plutôt aux dynamiques communes, pour souligner comment, à travers l’histoire, le continent s’est constitué et a contribué à la construction du reste du monde, en fournissant des ressources matérielles et symboliques. Les rencontres entre puissances européennes et pouvoirs locaux sont présentées sous l’angle des résistances politiques notamment avec l’expansion de l’Islam africain au xixe siècle puis ses différentes périodes de domination plus ou moins violentes et prédatrices. Sur tous ces fronts, l’Afrique du Sud est présentée comme « toujours plus précoce » notamment dans la pénétration et la domination européenne et son industrialisation. L’industrie minière qui s’est bâtie sur l’exploitation de la main d’œuvre noire a permis la formation de l’une des plus puissantes économies africaines mais a également donné les moyens d’une émancipation politique par la lutte ouvrière et syndicale.
[1] Il faut rappeler les ouvrages suivants : Makhily Gassama, L’Afrique répond à Sarkozy : contre le discours de Dakar, Paris, Philippe Rey, 2008 ; Adame Ba Konaré (sous la dir.), Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy, Paris, La Découverte, 2008.