Penser l’après-crise. Tout est à reconstruire
Jean-Pierre Pagé Paris, Autrement, janvier 2009, 130 p.
Il est toujours difficile de se lancer dans une analyse critique de la crise actuelle tout en restant force de proposition afin de réformer le modèle politique et économique régissant le capitalisme. C’est pourtant ce qu’essaie de faire, parfois de manière intéressante, l’économiste Jean-Pierre Pagé. L’objet de son livre est ainsi de « montrer que le monde affronte une crise de caractère systémique – et non plus seulement conjoncturel – qui en altère profondément le fonctionnement, et que l’exploration de voies nouvelles de développement est désormais indispensable » (p. 11).
J.-P. Pagé dénonce, dans le premier chapitre, l’imposture néolibérale, obnubilée par la libéralisation des marchés. Par la remise en cause du keynésianisme des Trente Glorieuses, facteur de développement économique raisonné, elle a engendré un capitalisme financier, perturbateur des équilibres politiques et socio-économiques antérieurs. L’auteur décrit assez bien l’émergence de la thèse libérale, devenue pensée unique vénérant le marché comme solution aux problèmes alors qu’elle « paralyse les esprits et neutralise les imaginations » (p. 11). La désillusion est généralisée, induisant un protectionnisme latent et un retour du nationalisme à travers le monde. Le chapitre 3, consacré au dévoiement des institutions financières internationales, est particulièrement instructif, notamment sur les politiques dogmatiques de transition vers le capitalisme, menées par le FMI et la Banque mondiale en ex-URSS.
Dans le deuxième chapitre, J.-P. Pagé rappelle la lente dérive du capitalisme en faisant un parallèle avec les thèses de Karl Polanyi, celui-ci ayant montré que l’incapacité du capitalisme à s’autoréguler, dans les années 1930, avait favorisé le développement du fascisme en Europe. Pour J.-P. Pagé, nous devrions revenir à un capitalisme faisant le compromis entre la recherche du profit et le nécessaire besoin d’équilibre social. Un retour au mode de régulation des Trente Glorieuses est ainsi indispensable car le capitalisme, sans garde-fous, court à sa perte. L’auteur fait ici sienne la thèse d’Immanuel Wallerstein.
Les différentes formes de capitalisme (nordique, rhénan, anglo-saxon) sont présentées et analysées dans le chapitre 4, notamment la comparaison entre efficacités économique et sociale. Loin de faire l’apologie de tel ou tel modèle, l’auteur avance que les réformes, sous-entendu les réformes libérales visant à « améliorer » les modèles d’Europe continentale, sont un leitmotiv purement politique alors que leur contenu libéral est un échec.
J.-P. Pagé s’attache alors, dans les trois chapitres suivants, à proposer des solutions afin de « recréer un projet sociétal pour le monde » (p. 84). Les différents défis qui nous attendent ne trouveront pas la solution dans le marché mais bien dans la politique. L’objectif est de reconstruire les fondements d’un fonctionnement équitable de la société, via une redéfinition du rôle de l’État, notamment. L’auteur reprend aussi l’idée de K. Polanyi selon laquelle le libéralisme discrédite la démocratie, à travers l’augmentation des inégalités. Là aussi, il existe un besoin de se réinventer pour renforcer la démocratie.
Un « nouveau monde » plus solidaire doit donc émerger, non pas issu des réformes, palliatif bien commode mais inefficace, mais via une refondation du capitalisme. Le consumérisme destructeur doit être corrigé, les échanges réorganisés afin de limiter une concurrence devenue malsaine car source de paupérisation. L’auteur avance que l’Europe a un rôle à jouer du fait de sa capacité à intégrer politique et économie, même si des améliorations sont nécessaires. De même, une alliance avec la Russie est envisageable comme pilier du nouveau monde.
Toutefois, ces dernières propositions souffrent, à l’image de certaines parties du livre, d’un manque de réalisme, voire d’une certaine naïveté. Le « rapprochement de ces deux ensembles [Europe et Russie], dans le respect mutuel et l’addition de leurs différences » (p. 118) cache une vision très européano-centrée de J.-P. Pagé, qui ne colle pas spécialement avec les desiderata des pays émergents. En effet, ceux-ci, à l’inverse de l’auteur, ne voient pas la mondialisation comme un phénomène purement négatif, mais comme source de développement, ce que rappelle C. De Boissieu dans la préface du livre. De même, l’analyse de l’auteur, bien que dense, mériterait parfois plus d’explications et moins de critiques unilatérales ou d’envolées incantatoires.