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Pensée et politique dans le monde arabe. Contextes historiques et problématiques, XIXe-XXIe
par Georges Corm - Paris, La Découverte, 2015, 346p.
Spécialiste du Moyen-Orient, auquel il a consacré de nombreux ouvrages, Georges Corm est un ancien homme politique libanais qui consacre désormais son activité au champ académique, notamment à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. De lui, on retient notamment Le Proche-Orient éclaté (Gallimard, 1983), Orient-Occident, la fracture imaginaire (La Découverte, 2002) ou L’Europe et le mythe de l’Occident (La Découverte, 2009). Son dernier ouvrage, Pensée et politique dans le monde arabe, vient de paraître aux éditions La Découverte. Sa thèse consiste à démontrer l’existence d’une pensée arabe, préalable à et plus large que la pensée musulmane qui attire aujourd’hui l’intérêt principal du public occidental. Il reproche à cette obsession de réduire le monde arabe à un islam essentialisé, ce qui constitue une vision simplificatrice. Aussi s’attache-t-il à démontrer la richesse et la diversité de la pensée arabe depuis le XIXe siècle.
L’expédition de Napoléon Bonaparte, la fragilité de la tutelle ottomane, le colonialisme européen au XIXe siècle constituent, en effet, les fondements du questionnement sur un éventuel retard de civilisation, bien posé par la figure fondatrice de Rifa’at Al-Tahtawi, auquel l’auteur se réfère très souvent (18 occurrences), à l’origine de la Nahda, ce mouvement de renaissance intellectuelle de la fin du XIXe siècle. Toutefois, le XXe siècle opère plusieurs ruptures : fin de l’Empire ottoman, révolution russe, protectorats franco-anglais, création de l’Arabie saoudite, puis fin des protectorats et création de l’État d’Israël. Tous ces événements suscitent plusieurs réactions intellectuelles, tout d’abord autour du nationalisme, dans un premier temps teinté d’anticolonialisme. Mais entre un nationalisme panarabe et l’existence d’États finalement concurrents, cette voie s’avère finalement peu féconde, comme le suggère l’insuccès du nassérisme ou du projet Baas. Une autre voie sera celle du marxisme, qui insiste sur les conditions économiques et sociales préalables au développement, mais là encore les expériences débouchent sur des échecs, soldés à la fin de l’Union soviétique. Ainsi s’explique la résurgence d’un islamisme fondamentaliste, inspiré à la fois par Sayyed Qotb ou la monarchique saoudienne – sans même parler de l’influence de la révolution islamique iranienne.
Georges Corm montre bien l’impasse de cette voie, qui n’apporte ni le développement ni l’épanouissement des populations, mais également la collusion entre un radicalisme islamiste et un certain néolibéralisme occidental, qui s’accommode fort bien de cette impasse : il y a là une alliance tacite qui explique en grande partie l’obsession pour l’islam politique radical, réduisant la diversité arabe à un dénominateur trop commun. L’auteur démontre ainsi la richesse d’une pensée arabe alternative, pas simplement laïciste mais cherchant à se dégager de ces impasses intellectuelles : tableau remarquable car évoquant nombre d’auteurs non seulement négligés mais ignorés de la curiosité occidentale, alors qu’ils constituent le ferment d’un possible renouveau. G. Corm fait montre d’une culture prodigieuse, ne négligeant aucune source – aux piliers égyptiens et libanais qu’il connaît plus particulièrement, il ajoute nombre d’auteurs de Mésopotamie, du Machrek et du Maghreb – et dresse un tableau remarquablement riche et instructif. On est en revanche surpris qu’il réduise les Frères musulmans au seul S. Qotb, ignorant le rôle du fondateur de la confrérie, Hassan Al-Banna, cité une seule fois. De même, on aurait aimé quelques développements sur le Hezbollah et le Hamas. Mais ce sont des défauts bien légers par rapport à la richesse de l’ensemble, stimulant et nuancé, qui doit à coup sûr appartenir au fond de bibliothèque de tous ceux qui s’intéressent à la région.
L’expédition de Napoléon Bonaparte, la fragilité de la tutelle ottomane, le colonialisme européen au XIXe siècle constituent, en effet, les fondements du questionnement sur un éventuel retard de civilisation, bien posé par la figure fondatrice de Rifa’at Al-Tahtawi, auquel l’auteur se réfère très souvent (18 occurrences), à l’origine de la Nahda, ce mouvement de renaissance intellectuelle de la fin du XIXe siècle. Toutefois, le XXe siècle opère plusieurs ruptures : fin de l’Empire ottoman, révolution russe, protectorats franco-anglais, création de l’Arabie saoudite, puis fin des protectorats et création de l’État d’Israël. Tous ces événements suscitent plusieurs réactions intellectuelles, tout d’abord autour du nationalisme, dans un premier temps teinté d’anticolonialisme. Mais entre un nationalisme panarabe et l’existence d’États finalement concurrents, cette voie s’avère finalement peu féconde, comme le suggère l’insuccès du nassérisme ou du projet Baas. Une autre voie sera celle du marxisme, qui insiste sur les conditions économiques et sociales préalables au développement, mais là encore les expériences débouchent sur des échecs, soldés à la fin de l’Union soviétique. Ainsi s’explique la résurgence d’un islamisme fondamentaliste, inspiré à la fois par Sayyed Qotb ou la monarchique saoudienne – sans même parler de l’influence de la révolution islamique iranienne.
Georges Corm montre bien l’impasse de cette voie, qui n’apporte ni le développement ni l’épanouissement des populations, mais également la collusion entre un radicalisme islamiste et un certain néolibéralisme occidental, qui s’accommode fort bien de cette impasse : il y a là une alliance tacite qui explique en grande partie l’obsession pour l’islam politique radical, réduisant la diversité arabe à un dénominateur trop commun. L’auteur démontre ainsi la richesse d’une pensée arabe alternative, pas simplement laïciste mais cherchant à se dégager de ces impasses intellectuelles : tableau remarquable car évoquant nombre d’auteurs non seulement négligés mais ignorés de la curiosité occidentale, alors qu’ils constituent le ferment d’un possible renouveau. G. Corm fait montre d’une culture prodigieuse, ne négligeant aucune source – aux piliers égyptiens et libanais qu’il connaît plus particulièrement, il ajoute nombre d’auteurs de Mésopotamie, du Machrek et du Maghreb – et dresse un tableau remarquablement riche et instructif. On est en revanche surpris qu’il réduise les Frères musulmans au seul S. Qotb, ignorant le rôle du fondateur de la confrérie, Hassan Al-Banna, cité une seule fois. De même, on aurait aimé quelques développements sur le Hezbollah et le Hamas. Mais ce sont des défauts bien légers par rapport à la richesse de l’ensemble, stimulant et nuancé, qui doit à coup sûr appartenir au fond de bibliothèque de tous ceux qui s’intéressent à la région.