Parlement européen et société civile. Vers de nouveaux aménagements institutionnels
Laurent Dutoit Louvain-la-Neuve, Academia-Bruylant, 2009, 330 p.
La construction de l’Union européenne, toute aussi complexe et parfois opaque qu’elle soit, n’offre-t-elle pas un formidable terrain d’expérimentation propice au renouvellement de la démocratie ?
C’est ce que cet ouvrage voudrait montrer en s’appuyant sur les théories associationnistes et la notion de société civile dont le rôle désormais incontournable pourrait permettre l’alliance de la démocratie participative et de la démocratie représentative. Le point de départ de l’auteur est celui d’un constat ambivalent : si en effet l’UE est porteuse d’un nouveau projet démocratique qu’il s’agit de définir, il n’en reste pas moins qu’elle doit pour cela surmonter trois grand problèmes structurels Tout d’abord, il n’existe pas de grand partis européens qui permettent de véritablement « européaniser » les débats, ensuite il n’existe pas de grand média européen qui permettrait de rendre compte des décisions, et enfin la complexité institutionnelle rend complètement opaque les prises de décision aux yeux des citoyens. En l’absence d’un demos qui constitue le socle de la souveraineté des États, l’Europe doit se construire à partir d’une gouvernance de la société civile qui permettrait une relégitimation et un meilleur fonctionnement de l’État. Le problème se pose alors du rôle de la société civile et de son identification. Ici, le Comité économique et social européen (CESE) a beaucoup fait pour tenter de définir ce qu’il appelle la « société civile organisée » : l’idée serait de distribuer les responsabilités des décisions entre les institutions qui fonctionnent selon le principe de la subsidiarité territoriale, et les acteurs de la société civile qui se fondent sur le principe de la subsidiarité fonctionnelle. Il existe cependant deux difficultés de taille qui ne sont pas encore résolues. La première concerne la légitimité : le Parlement européen voit en effet d’un œil méfiant le fait que des organisations non élues puissent prendre part aux décisions législatives. Ensuite, la question se pose de savoir quels sont exactement les acteurs de la société civile : malgré les efforts du Comité économique et social européen, les critères restent flous. Laurent Dutoit déplore par ailleurs le manque de travaux de politologues concernant cette question. Selon lui, la société civile est avant tout composée d’organisations associatives et citoyennes, par conséquent en sont exclus les syndicats et les entreprises qui participent à la structuration du marché, ainsi que les partis qui luttent pour la prise du pouvoir. L’avantage de ces mouvements citoyens réside dans leur capacité à offrir une vision originale de l’intérêt général en ce qu’ils ne sont liés ni à des intérêts partisans ni à des intérêts économiques. Institutionnellement, il s’agirait alors de mettre en place des commissions associatives permettant l’inclusion de la société civile au sein du Parlement européen sans que soit pour autant remis en cause les principes de la démocratie représentative. Ces commissions seraient formées en début de législature sur proposition de la Conférence des présidents1, l’ensemble des députés pouvant alors participer aux choix des thématiques de ces commissions. Cette ingérence des députés se ferait pour deux raisons principales : tout d’abord elle entérinerait la prépondérance de la démocratie représentative qui tire sa légitimité directement du peuple par le biais du suffrage universel ; ensuite, elle permettrait une meilleure politisation afin d’éviter une certaine bureaucratisation et de donner davantage de sens aux décisions prises. Cette proposition s’inscrirait alors dans une prolongation du rôle des intergroupes qui, composés d’élus tout en n’étant pas intégrés aux structures parlementaires, ont pour rôle de communautariser des problématiques au-delà des clivages partisans.
Cet ouvrage n’a donc pas seulement une ambition descriptive mais aussi normative, en proposant un véritable projet de renouvellement de la démocratie qui puisse s’inscrire dans l’espace public européen. Cet effort est d’autant plus intéressant qu’il s’attaque à un domaine encore peu défriché par les politologues. Nous regretterons juste que le rappel des origines des théories associationnistes auquel il se rattache demeure quelque peu superficiel. La filiation tocquevillienne est certes importante, mais l’auteur aurait pu davantage étayer ses théories en s’inspirant de Célestin Bouglé, de Léon Bourgeois ou encore de Pierre-Joseph Proudhon.
1 La Conférence des présidents des Parlements de l’Union européenne réunit les présidents des Parlements nationaux des pays membres de l’Union européenne et le président du Parlement européen.