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Panique aux frontières. Enquête sur une Europe qui se ferme
Éric LHelgoualch Paris, Max Milo, 2011, 317 p.
À l’approche d’échéances électorales hexagonales consacrant une fois de plus les questions migratoires comme un thème privilégié et prisonnier des affrontements politiques partisans, voici un ouvrage rafraichissant sur l’une des politiques publiques nationales et européennes les plus complexes à appréhender pour le non-initié.
Européen convaincu mais semble-t-il dubitatif sur l’Union européenne (UE) telle qu’elle va, Éric L’Helgoualc’h propose ici un ouvrage original dans son ambition et son contenu. L’auteur a simplement pris l’initiative personnelle de s’emparer et d’étudier, pendant un an, ce qui lui semblait être une contradiction apparente entre l’essence du projet européen – une certaine idée de l’ouverture, de la libre circulation et des droits de l’homme – et les politiques mises en œuvre pour lutter contre l’immigration clandestine. L’auteur l’admet lui-même, « Ce livre est le fruit de cette année d’enquête. Il ne s’agit pas d’un travail universitaire sur la genèse de la politique européenne d’immigration, ni d’un pamphlet contre cette même politique » (p. 28). Panique aux frontières emprunte en réalité simultanément les atours et la démarche d’une enquête journalistique rondement menée et bien documentée (analyse de sources institutionnelles comme universitaires variées), d’une sorte de sociologie de la lutte contre l’immigration clandestine (analyse des perceptions et jeux des acteurs recueillis lors d’entretiens et observations de terrain), et d’essai politique (prises de positions, recul critique sur les sources utilisées). Cette originalité formelle rend l’ouvrage à la fois vivant, pédagogique, intéressant et stimulant, une quadrature du cercle rarement atteinte sur un tel sujet.
Sur le fond, l’ouvrage fournit, au gré des témoignages recueillis et des observations de terrain, un témoignage impressionniste riche des outils, méthodes et acteurs des politiques européennes de lutte contre l’immigration clandestine. L’auteur parvient ce faisant à éviter le triple écueil d’une lecture pro-institutionnelle sécuritaire et froide, d’une lecture engagée d’opposition a priori aux politiques mises en œuvre, et d’une prétention à la neutralité scientifique difficilement tenable sur un tel sujet. Les occasions d’opérer un recul critique sur l’évolution des dispositifs européens depuis dix ans n’en sont que plus convaincantes. Il en ressort en particulier une tension politique et juridique entre la vision des frontières de l’Union comme des frontières hermétiques à défendre coûte que coûte, et le respect des principes et droits fondamentaux sur lesquels repose l’UE et auxquels ses États membres sont tenus de par les multiples conventions et engagements internationaux auxquels ils ont souscrit, sans parler bien entendu des principes moraux et politiques de respect de la dignité humaine. L’externalisation des contrôles aux frontières et de la gestion des flux migratoires, qui a vu l’UE et ses États membres tenter de déléguer une partie de leur réponse à l’immigration clandestine à des pays tiers comme la Libye ou la Turquie, envisagées froidement comme des avant-postes d’un nouveau limes européen à défendre, illustre on ne peut mieux ce dilemme. É. L’Helgoualc’h le démontre et l’affirme parfaitement : « L’externalisation des contrôles et l’engagement à respecter les droits des demandeurs d’asile sont deux orientations contradictoires, l’expression d’une schizophrénie de l’Union européenne, partagée entre sa volonté, de plus en plus manifeste, de contrôler ses frontières, et son attachement proclamé au droit international » (p. 189). Le fait que les Européens tentaient encore de négocier un accord avec la Libye sur la gestion des migrants dans les dernières semaines du régime de Mouammar Kadhafi atteste malheureusement d’une primauté de la gestion immédiate et sécuritaire des flux migratoires sur le respect des principes que l’UE entend elle-même incarner à l’intérieur comme à l’extérieur de ses frontières.
On aimerait dans ce contexte, en particulier dans une année électorale, disposer de contre-propositions politiques et institutionnelles concrètes en réponse au glissement sécuritaire et défensif opérée par l’UE et certains de ses États membres depuis dix ans. Le présent ouvrage ne les fournit pas, mais tel n’était pas, après tout, pas sa vocation.