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Paix et guerres en Afrique. Un continent en dehors de l’Histoire ?
Charles Zorgbibe Paris, Bourin éditeur, 2009
Juriste et spécialiste des relations internationales, Charles Zorgbibe a publié une quarantaine d’ouvrages dans ces domaines (géopolitique, défense, Union européenne, relations internationales) la plupart à vocation universitaire (manuels) ou à destination d’un public plus large.
Dans cette première partie d’un essai en deux tomes sur l’Afrique, l’auteur pose dès le sous-titre une question quelque peu provocante, en se demandant s’il s’agit d’« un continent en dehors de l’histoire ? ». Sauf à ignorer la controverse ayant suivi le discours du président français Nicolas Sarkozy en juillet 2008 à Dakar[1] et sauf à appliquer à l’Afrique d’aujourd’hui une pensée de l’histoire comme étant l’histoire des grandes puissances occidentales, cette question n’a plus lieu d’être aujourd’hui car on dispose de travaux historiques de premier plan sur l’Afrique. L’historicité du continent africain, ou plutôt de son anhistoricité reste cependant en arrière-plan de l’ouvrage. Le prologue se réfère longuement à Hegel et à cette vision a-historique et ténébreuse du continent africain, vision de laquelle l’auteur peine à se distancer. Par exemple malgré les trois révolutions (démographique, politique – les indépendances –, et dans ses rapports avec le reste du monde), que l’Afrique a connu au siècle précédent, le continent demeure selon Charles Zorgbibe, largement dominé par une « mentalité nataliste » (« L’Afrique est donc le continent des mères couvertes d’enfants », p. 18) et de tout un ensemble de fléaux (sida, guerres…) qui ne lui permettent pas selon l’auteur de sortir de ce statut d’objet de l’histoire, marginalisé des évolutions du reste du monde (p. 28-30).
En réalité cette expression « Afrique, objet de l’histoire » est la clé pour comprendre le livre et son intérêt. Cet essai consiste en effet en une lecture des dynamiques politiques africaines du xxe siècle par une approche traditionnelle et exogène d’analyse des relations internationales à savoir : comment dans le cours de l’histoire des grandes puissances occidentales, le continent africain a été – ou non – un enjeu géopolitique pour les nations européennes. Le titre de l’ouvrage est d’ailleurs explicite en ce sens et la référence à Raymond Aron parle d’elle-même. Paru en 1962, son Paix et guerre entre les nations est devenu un ouvrage classique des relations internationales contemporaines.
Finalement, on pourra reprocher aujourd’hui à C. Zorgbibe ce qu’on avait fini par reprocher à R. Aron : le fait de privilégier un prisme d’analyse stato-centré et des logiques diplomatico-stratégiques au détriment d’un regard sur une multitude d’acteurs non étatiques, transnationaux, économiques, etc. Dans le même temps, une approche réaliste en relations internationales permet de reprendre une certaine chronologie d’événements mondiaux ayant concerné de près le continent : le « partage » de l’Afrique lors de la conférence de Berlin en 1885-1886 (chapitre 1), les disputes entre Européens à Fachoda (chapitre 2) puis au Maroc (chapitre 3), la Société des Nations et l’Afrique, l’Allemagne et l’Afrique… sont évoqués dans la première partie qui montre la manière dont les puissances européennes se sont accaparées le continent. Resterait sûrement à mieux mettre en relation cette perspective avec les réalités politiques locales.
Dans la deuxième partie, ces dynamiques sociales et politiques africaines sont plus présentes autour de la question de la marche vers l’indépendance et le rôle des intellectuels africains est bien mis en lumière. L’auteur livre certains témoignages personnels de cette époque (chapitre 7), notamment sa rencontre avec Léopold S. Senghor et l’historien Cheikh Anta Diop, qui lui offrent l’occasion d’écrire un chapitre sensible sur la négritude et la lutte contre le colonialisme. Ce livre n’est cependant pas un livre sur l’histoire de l’Afrique telle qu’elle émerge dans la littérature africaniste depuis plusieurs décennies, montrant un continent avec ses propres enjeux de relations internationales, de pouvoirs puissants et des populations bel et bien actrices de leur propre histoire.
Enfin, l’ « épilogue provisoire » ne rétablit pas pour le moment – sûrement est-ce l’objet du tome 2 annoncé – l’importance des dynamiques sociales, culturelles, économiques et politiques africaines, mais privilégie les questions d’extraversion, de marginalisation, de sous-développement, en somme la peur que suscite encore le continent africain à l’aube du xxie siècle aux yeux de bien des observateurs occidentaux.
Ainsi, si l’on suit une approche réaliste de l’Afrique contemporaine, examinant essentiellement le jeu des puissances occidentales, l’Afrique ne peut-elle être considérée que comme un objet de l’histoire ? Cette unité problématique du livre, resserrée autour du genre « essai », est renforcée par l’absence de bibliographie (pourtant annoncée dans le sommaire) en fin d’ouvrage et de notes de bas de page qui auraient permis de situer – scientifiquement – le propos.
[1]. Voir notamment Makhily Gassama, M. L'Afrique répond à Sarkozy : Contre le discours de Dakar, Paris, Philippe Rey, 2008 ; Adame Ba Konaré (sous la dir.), Petit précis de remise à niveau sur l’histoire africaine à l’usage du président Sarkozy, Paris, La Découverte, 2008.