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NSA. National Security Agency
Par Claude Delesse - Paris, Tallandier, 2016, 512p.
Claude Delesse dresse ici le portrait-robot d’une agence dont on a longtemps cru qu’elle n’existait pas : la National Security Agency (NSA), l’agence fédérale américaine chargée du renseignement technique. Héritière de l’expertise britannique, elle a établi, depuis l’aube du troisième millénaire et à travers le monde entier, un vaste système d’interception de masse et de stockage des communications. L’ouvrage se base sur de nombreuses sources ouvertes, témoignages d’anciens, comptes rendus d’entrevues parlementaires et documents déclassifiés ou ayant fuité via des lanceurs d’alertes.
Le livre retrace l’histoire de la NSA, intimement liée à tous les grands événements ayant impliqué les États-Unis depuis les années 1950 – la crise de Cuba, la guerre du Viêtnam, etc. L’enquête de C. Delesse permet aussi d’appréhender l’univers interne de l’agence, depuis son fief surprotégé de Fort Meade jusqu’à ses stations d’écoute dispersées à travers le monde, mais également ses partenariats avec les services d’autres pays, de fait placés en délicate position quand il s’agit de dénoncer les excès de leur camarade et alliée.
Étonnamment, à la suite des révolutions technologiques induites par l’après-guerre froide et jusqu’au 11 septembre 2001, la NSA s’est trouvée technologiquement dépassée et sous-financée, dépassée par un monde qui allait trop vite pour son administration rigide. De l’aveu même de son ancien directeur Michael Hayden, c’est l’émergence du terrorisme qui l’a sauvée. Soudainement placée sous perfusion financière comme toute la communauté du renseignement américain, la NSA va développer ses techniques, acquérir du matériel, recruter du personnel, forger des accords avec de nouveaux pays « amis » et lancer des projets aussi gourmands en énergie qu’en financement – qui finiront pas échouer, écrasés par le poids de leur propre démesure.
C. Delesse, qui expose habilement l’étendue de la surveillance, n’oublie pas d’en souligner l’outrance et l’illégalité. La NSA ne respecte ainsi pas la législation américaine elle-même, profitant des largesses du Patriot Act pour justifier toutes ses activités par l’argument inébranlable de la sécurité nationale. Plus inquiétant, elle ne fait pas non plus l’objet d’un contrôle parlementaire efficace, les commissions justifiant l’activité de l’agence davantage qu’elles ne la contrôlent.
Si le travail de l’auteur est colossal, on peut toutefois lui reprocher sa froideur. En décrivant la NSA comme une machine implacable et déshumanisée dirigée par des despotes indépendants, il écarte ce qui motive profondément la démarche américaine. Plutôt qu’une soif d’information autoalimentée, il faudrait rappeler l’ambition d’exister d’une agence longtemps dépréciée, la peur irraisonnée de voir la patrie attaquée et l’angoisse du déclassement stratégique. Autant de sentiments qui, sans rien justifier de l’extravagance de la NSA, peuvent permettre de l’expliquer et auraient mérité d’être abordés de façon peut-être moins manichéenne.
Désormais sous surveillance des médias et du public, l’agence dispose toujours d’un soutien politique lui permettant de poursuivre ses activités. Mais alors que la Chine, la Russie et d’autres développent des capacités similaires, et tandis que certains de ses amis, dont dépend sa collecte d’informations, ont été échaudés par les révélations d’Edward Snowden, la NSA se retrouve dans une position délicate. Alors que son monopole sur les réseaux est menacé, elle est en effet plus que jamais condamnée à la discrétion, celle-là même qui l’a menée où elle se trouve aujourd’hui.
Le livre retrace l’histoire de la NSA, intimement liée à tous les grands événements ayant impliqué les États-Unis depuis les années 1950 – la crise de Cuba, la guerre du Viêtnam, etc. L’enquête de C. Delesse permet aussi d’appréhender l’univers interne de l’agence, depuis son fief surprotégé de Fort Meade jusqu’à ses stations d’écoute dispersées à travers le monde, mais également ses partenariats avec les services d’autres pays, de fait placés en délicate position quand il s’agit de dénoncer les excès de leur camarade et alliée.
Étonnamment, à la suite des révolutions technologiques induites par l’après-guerre froide et jusqu’au 11 septembre 2001, la NSA s’est trouvée technologiquement dépassée et sous-financée, dépassée par un monde qui allait trop vite pour son administration rigide. De l’aveu même de son ancien directeur Michael Hayden, c’est l’émergence du terrorisme qui l’a sauvée. Soudainement placée sous perfusion financière comme toute la communauté du renseignement américain, la NSA va développer ses techniques, acquérir du matériel, recruter du personnel, forger des accords avec de nouveaux pays « amis » et lancer des projets aussi gourmands en énergie qu’en financement – qui finiront pas échouer, écrasés par le poids de leur propre démesure.
C. Delesse, qui expose habilement l’étendue de la surveillance, n’oublie pas d’en souligner l’outrance et l’illégalité. La NSA ne respecte ainsi pas la législation américaine elle-même, profitant des largesses du Patriot Act pour justifier toutes ses activités par l’argument inébranlable de la sécurité nationale. Plus inquiétant, elle ne fait pas non plus l’objet d’un contrôle parlementaire efficace, les commissions justifiant l’activité de l’agence davantage qu’elles ne la contrôlent.
Si le travail de l’auteur est colossal, on peut toutefois lui reprocher sa froideur. En décrivant la NSA comme une machine implacable et déshumanisée dirigée par des despotes indépendants, il écarte ce qui motive profondément la démarche américaine. Plutôt qu’une soif d’information autoalimentée, il faudrait rappeler l’ambition d’exister d’une agence longtemps dépréciée, la peur irraisonnée de voir la patrie attaquée et l’angoisse du déclassement stratégique. Autant de sentiments qui, sans rien justifier de l’extravagance de la NSA, peuvent permettre de l’expliquer et auraient mérité d’être abordés de façon peut-être moins manichéenne.
Désormais sous surveillance des médias et du public, l’agence dispose toujours d’un soutien politique lui permettant de poursuivre ses activités. Mais alors que la Chine, la Russie et d’autres développent des capacités similaires, et tandis que certains de ses amis, dont dépend sa collecte d’informations, ont été échaudés par les révélations d’Edward Snowden, la NSA se retrouve dans une position délicate. Alors que son monopole sur les réseaux est menacé, elle est en effet plus que jamais condamnée à la discrétion, celle-là même qui l’a menée où elle se trouve aujourd’hui.