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Nouvelle histoire du Japon
Pierre-François Souyri Paris, Perrin, 2010, 630 p.
Pierre-François Souyri, l’un des historiens du Japon les plus reconnus dans le monde occidental, nous livre ici un ouvrage massif dont le titre aurait tout aussi bien pu être « Histoire de l’histoire du Japon ». En s’attardant sur l’historiographie japonaise, l’auteur s’est ainsi efforcé de traiter de l’histoire de l’archipel en analysant à chacune des différentes époques le regard que portèrent à la fois les contemporains, et les historiens qui en étudièrent toutes les facettes. Une telle démarche est particulièrement utile dans le cas du Japon, non seulement parce que l’histoire de ce pays reste étonnement mal connue en Occident, mais aussi parce que la déformation de l’histoire est l’un des thèmes les plus sensibles dans cet archipel, l’affaire des manuels scolaires et de la description de l’armée impériale qu’ils en font en étant l’exemple le plus significatif.
La description des anciennes civilisations de l’archipel est d’une rare précision, et indique à quel point le Japon est né de la réunion de cultures parfois très différentes, tranchant ainsi avec l’idée trop souvent admise qu’il s’agit d’un État nation ayant suivi une trajectoire linéaire. L’immense travail de Souyri sur les périodes anciennes, qui couvrent une grande partie de son ouvrage, offre des éclairages précieux sur les origines du Japon, et permettent de mieux comprendre les phases d’alternance d’ouverture au monde et de fermeture que ce pays a connues.
La rencontre du Japon avec la modernité – par le biais des ouvertures contraintes par Perry et ses traités inégaux puis les profondes réformes engagées avec la restauration Meiji – est également particulièrement bien traitée. L’auteur décrit à la fois l’ampleur des transformations de la société japonaise, mais aussi les changements politiques profonds, avec la montée en puissance de la société impériale, qui laisse rapidement, sans véritablement crier gare, les radicalismes s’exprimer. C’est ainsi que le militarisme a gagné du terrain de façon insidieuse dans la société japonaise, s’appuyant sur un sentiment de fierté retrouvé et des thèses de la Grande Asie alors très en vogue dans les milieux conservateurs. Cette dérive progressive conduisit l’archipel vers la période la plus sombre de son histoire, avec un expansionnisme laissant s’exprimer toutes les violences, et terminant par une véritable apocalypse et l’occupation du Japon par une puissance étrangère pour la première fois de son histoire.
L’histoire du Japon depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, marquée par un véritable miracle économique et un lien stratégique très fort avec les États-Unis est traitée de manière moins approfondie, ce qui constitue d’ailleurs le seul point à critiquer dans cet ouvrage. Mais Souyri n’en offre pas moins des anecdotes intéressantes, comme les réflexions sur la fin de la période dite d’après-guerre qui fait encore débat aujourd’hui. Les années plus récentes sont donc le seul écueil de cette nouvelle histoire du Japon, qui n’en demeure pas moins un outil précieux pour mieux comprendre cet archipel.