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Nous ne sommes plus seuls au monde. Un autre regard sur l’«ordre international»
Par Bertrand Badie - Paris, La Découverte, 2016, 252p.
Bertrand Badie est professeur à Sciences Po Paris. Une génération d’étudiants y a suivi son cours magistral. Il porte non sur les relations internationales mais sur « l’espace mondial ». Chaque mot compte dans cet intitulé : l’espace plutôt que le territoire, mondial plutôt qu’international. Car, pour l’auteur de La fin des territoires (Fayard, 1995) et de Un monde sans souveraineté (Fayard, 1999), la mondialisation annule la distance tandis que l’international est supplanté par l’inter-social. Deux ouvrages récents, publiés à quelques mois d’intervalle, permettent de se familiariser avec sa pensée.
Le premier, le plus récent, est un essai dont le titre sonne comme un manifeste : Nous ne sommes plus seuls au monde. Son sous-titre annonce Un autre regard sur l’« ordre international ». Le regard dominant, contre lequel Bertrand Badie s’inscrit en faux, réduit le jeu mondial à l’affrontement d’États froids et rationnels. Il fait de la force militaire la seule aune de puissance. Il place l’Occident au centre du monde et postule l’existence d’un « ordre international ».
Or, soutient Bertrand Badie, à l’heure de la mondialisation et de l’irruption des sociétés sur la scène internationale, l’espace mondial ne se réduit pas aux seuls États. La force n’est plus le seul critère de la puissance, la faiblesse pouvant même paradoxalement constituer une force lorsqu’elle se mue en potentiel de nuisance. Le monde n’est plus occidentalo-centré, mais voit le déclin – relatif – de cet Occident et l’émergence – ou plutôt la réémergence – de nouvelles puissances au Sud. Polarisé au temps de la guerre froide autour des deux superpuissances, il a cessé aujourd’hui de l’être : des pôles de puissance plus ou moins forts existent, mais ne divisent plus le monde. À l’ordre de la guerre froide a succédé le désordre de l’après-guerre froide, une période que nous avons tant de mal à caractériser que nous la désignons par une expression qui fait référence à la période antérieure.
Le second ouvrage relève d’une approche différente. C’est une sélection des éditoriaux que Bertrand Badie signe régulièrement dans le quotidien La Croix. Il ne s’agit pas d’une juxtaposition paresseusement chronologique qui dans la meilleure hypothèse, permettrait de revisiter l’actualité internationale des années passées, dans la pire révèlerait la caducité d’analyses à vif. Il s’agit au contraire d’une tentative de long terme de modifier notre regard sur le monde en corrigeant les fausses évidences qui en aveuglent la perception.
Cette entreprise de reconstruction part d’un constat : la mondialisation conditionne nos actions. Le monde n’est peut-être pas encore uni – il ne partage ni les mêmes problèmes ni les mêmes valeurs – mais il est d’ores et déjà unifié – nous ne pouvons être sourds ou aveugles aux malheurs du monde. Dario Battistella ne l’exprime pas autrement quand il parle joliment (Un monde unidimensionnel, Presses de Sciences Po, 2011) d’une société internationale « unitive ».
Or, le système interétatique fonctionne encore largement selon une logique d’exclusion. L’auteur de La diplomatie de connivence (La Découverte, 2011) et de Le temps des humiliés (Odile Jacob, 2014) s’en est par ailleurs longuement expliqué : la logique de « club » nourrit l’humiliation. La désignation d’un ennemi, avec lequel on s’interdit de négocier, conduit à sa radicalisation. La valorisation de la « guerre juste » rend la paix impossible. La moralisation des relations internationales a la conséquence paradoxale de bannir le compromis et d’empêcher l’équilibre. Ce progrès apparent pourrait en fait s’avérer pernicieux.
Quelles solutions Betrand Badie propose-t-il ? Elles sont simples à formuler, plus difficiles à mettre en œuvre. Il faut sortir du prêt-à-penser westphalien. Il faut, dit-il, « écrire une autre Histoire des relations internationales, celle du nécessaire traitement social des conflits contemporains » (Un monde de souffrances, p. 43). Lançant un défi à la gauche européenne, il préconise « d’entrer dans la mondialisation sur une base qui lui serait propre et mettrait en avant des valeurs solidaristes (plus qu’associatives), régulatrices (plus qu’accompagnatrices), universalistes (plus qu’occidentalistes) » (p. 184).
Le premier, le plus récent, est un essai dont le titre sonne comme un manifeste : Nous ne sommes plus seuls au monde. Son sous-titre annonce Un autre regard sur l’« ordre international ». Le regard dominant, contre lequel Bertrand Badie s’inscrit en faux, réduit le jeu mondial à l’affrontement d’États froids et rationnels. Il fait de la force militaire la seule aune de puissance. Il place l’Occident au centre du monde et postule l’existence d’un « ordre international ».
Or, soutient Bertrand Badie, à l’heure de la mondialisation et de l’irruption des sociétés sur la scène internationale, l’espace mondial ne se réduit pas aux seuls États. La force n’est plus le seul critère de la puissance, la faiblesse pouvant même paradoxalement constituer une force lorsqu’elle se mue en potentiel de nuisance. Le monde n’est plus occidentalo-centré, mais voit le déclin – relatif – de cet Occident et l’émergence – ou plutôt la réémergence – de nouvelles puissances au Sud. Polarisé au temps de la guerre froide autour des deux superpuissances, il a cessé aujourd’hui de l’être : des pôles de puissance plus ou moins forts existent, mais ne divisent plus le monde. À l’ordre de la guerre froide a succédé le désordre de l’après-guerre froide, une période que nous avons tant de mal à caractériser que nous la désignons par une expression qui fait référence à la période antérieure.
Le second ouvrage relève d’une approche différente. C’est une sélection des éditoriaux que Bertrand Badie signe régulièrement dans le quotidien La Croix. Il ne s’agit pas d’une juxtaposition paresseusement chronologique qui dans la meilleure hypothèse, permettrait de revisiter l’actualité internationale des années passées, dans la pire révèlerait la caducité d’analyses à vif. Il s’agit au contraire d’une tentative de long terme de modifier notre regard sur le monde en corrigeant les fausses évidences qui en aveuglent la perception.
Cette entreprise de reconstruction part d’un constat : la mondialisation conditionne nos actions. Le monde n’est peut-être pas encore uni – il ne partage ni les mêmes problèmes ni les mêmes valeurs – mais il est d’ores et déjà unifié – nous ne pouvons être sourds ou aveugles aux malheurs du monde. Dario Battistella ne l’exprime pas autrement quand il parle joliment (Un monde unidimensionnel, Presses de Sciences Po, 2011) d’une société internationale « unitive ».
Or, le système interétatique fonctionne encore largement selon une logique d’exclusion. L’auteur de La diplomatie de connivence (La Découverte, 2011) et de Le temps des humiliés (Odile Jacob, 2014) s’en est par ailleurs longuement expliqué : la logique de « club » nourrit l’humiliation. La désignation d’un ennemi, avec lequel on s’interdit de négocier, conduit à sa radicalisation. La valorisation de la « guerre juste » rend la paix impossible. La moralisation des relations internationales a la conséquence paradoxale de bannir le compromis et d’empêcher l’équilibre. Ce progrès apparent pourrait en fait s’avérer pernicieux.
Quelles solutions Betrand Badie propose-t-il ? Elles sont simples à formuler, plus difficiles à mettre en œuvre. Il faut sortir du prêt-à-penser westphalien. Il faut, dit-il, « écrire une autre Histoire des relations internationales, celle du nécessaire traitement social des conflits contemporains » (Un monde de souffrances, p. 43). Lançant un défi à la gauche européenne, il préconise « d’entrer dans la mondialisation sur une base qui lui serait propre et mettrait en avant des valeurs solidaristes (plus qu’associatives), régulatrices (plus qu’accompagnatrices), universalistes (plus qu’occidentalistes) » (p. 184).