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Notre maison brûle au Sud que peut faire l’aide au développement ?
Serge Michailof Fayard/Commentaire, 2010, 374 p.
Voilà enfin le grand livre attendu sur l’aide au développement. Non, pas de thèse révolutionnaire pour sauver le Sud, ni de brûlot dénonçant l’inutilité fondamentale de l’aide aux pays en voie de développement. Simplement, une bonne synthèse, intellectuellement honnête, parfois écrite sur un ton personnel qui lui donne de la chair et suscite sinon l’adhésion, du moins l’estime. Serge Michailof, vieux routier de la coopération, est revenu de tout, sans céder en rien au cynisme et au fatalisme : il nous retrace l’histoire de l’aide, celle de ses doctrines, de ses utopies, de ses échecs, et tente d’en tirer quelques réflexions pour les débats actuels. Il renvoie à leurs responsabilités les théoriciens des organisations internationales et les dirigeants du Tiers Monde, et fait le point sur ce qui a réussi : au fond, les préconisations du consensus de Washington originel – celui qui n’était pas encore travesti et dévoyé par l’idéologie néolibérale – modifié et enrichi par une action habile et ciblée d’un État stratège et régulateur, recourant le cas échéant au protectionnisme protecteur. Un consensus de Washington qui serait devenu un « consensus asiatique ».
La première leçon qu’il tire de l’histoire de ces dernières décennies, c’est que la pauvreté a diminué de manière spectaculaire dans le monde, surtout grâce au succès des pays émergents. Pas vraiment à mettre au crédit de l’aide au développement, donc. Mais le travail n’est pas achevé, il reste un bon milliard de pauvres (pour reprendre le titre de l’ouvrage de P. Collier, The Bottom Billion), et deux régions ne parviennent pas à «émerger » : l’Afrique et la zone Moyen-Orient / Afrique du Nord. L’auteur demeure sceptique sur les succès récents de l’Afrique, qu’il considère encore bien fragile, et inquiet pour le Monde arabo-musulman : les deux régions entrent dans une période où, bien que la transition démographique soit avancée, une formidable masse de jeunes parvient sur un marché de l’emploi incapable de l’absorber. La stagnation économique, le chômage et le manque de perspectives sont par excellence le terreau fertile pour des crises majeures.
La lutte contre la pauvreté est pourtant devenue la priorité de la plupart des bailleurs, après une période durant laquelle ces derniers se préoccupaient essentiellement de la stabilité macroéconomique et de l’assainissement des finances publiques. L’auteur invite à construire des politiques d’aide équilibrées, où renforcement du cadre propice à la croissance, protection sociale et investissements dans les infrastructures sont financés de concert. Ces politiques se construisent en partenariat avec les pays receveurs, en tenant compte des règles de l’harmonisation de l’aide. En effet, cette industrie de l’aide a pris une telle ampleur – 563 agences publiques d’aide, 18 000 ONG… – qu’une énergie importante est utilisée pour la coordination, au risque de déresponsabiliser les administrations locales.
Pourtant, cette aide demeure primordiale. Outre l’aspect humanitaire, elle permet d’apporter une solution à une menace réelle, celle de la multiplication des conflits déstabilisant le monde. En matière de prévention des conflits ou de leur résolution, il reste encore beaucoup à faire ou à apprendre, et les expériences désastreuses du Congo et de l’Afghanistan montrent qu’une intervention militaire doit impérativement se doubler d’une forte composante civile. L’auteur appelle à un recentrage des moyens et à une intégration des deux approches. Complétant et confirmant sur ce point La Guerre Probable du général Desportes, cet ouvrage offre des recommandations essentielles pour ceux qui décideront de nos prochaines opérations de maintien de la paix.