Nihilisme et négritude
Célestin Monga Paris, PUF, 2009, 272 p.
Ce livre rédigé par un économiste camerounais, expert de la Banque mondiale, est un cri désespéré devant la violence africaine.
Sur le plan analytique, l’auteur dénonce le structuralisme et le culturalisme. Il vise à retrouver le nihilisme derrière les arts de vivre. Tels les héros de Pessoa se voulant grands dans leurs âmes malgré leurs minuscules destins, l’auteur combine observation empirique, anecdotes faisant sens pour décrypter les actes de violence dans le champ du quotidien. L’influence philosophique est celle de Cioran ou Schopenhauer. L’ouvrage est dans la veine de Mongo Beti ou d’Ambroise Kom. Le style est remarquable. Les formules sont fortes : « la misère a démocratisé l’imbécillité » ; « face à l’arbitraire du pouvoir, le silence n’est pas forcément complice. Il est parfois élégance de l’âme et pédagogie de l’indifférence ».
L’auteur découvre le nihilisme à travers l’amour, le manger, l’expression du corps ou l’arbitraire du pouvoir. La description est souvent hélas très lucide sur la quantité de violence qui régit les rapports quotidiens et qui oblige parfois à penser l’impensable. L’auteur décrit comment l’amour est souvent réduit à une relation mercantile intéressée, en quoi le manger renvoie à un réseau relationnel, comment s’expriment les corps. Sa description de l’arbitraire du pouvoir est d’une très grande cruauté telle la « fessée nationale souveraine » infligée sur ordre du président Paul Biya à l’encontre de l’opposant Samuel Eboua et exprimant l’humiliation corporelle et morale. On retrouve la force de Mongo Beti dénonçant les goulags tropicaux.
Face à cette réalité d’une Afrique éloignée de celle de sa jeunesse, Célestin Monga, Africain vivant aux États-Unis, ne se place pas dans la lutte politique mais dans un travail de restitution du vécu. Cet ouvrage va à contre courant de l’afro-centrisme en considérant que les maux de l’Afrique viennent de l’extérieur. Il veut fonder un afro-nihilisme lucide, qui bien entendu soulèvera des polémiques mais qui oblige aussi à compléter les regards que l’on peut avoir de l’Afrique.