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Nauru, l’île dévastée
Luc Folliet Paris, La Découverte, coll. « Cahiers libres », 2009, 148 p.
Le journaliste Luc Folliet nous entraîne dans un exotique voyage à l’autre bout du globe, au milieu de l’océan Pacifique. Située sur l’équateur, entre Kiribati et la Micronésie, l’île de Nauru est la plus petite République du monde : 21 kilomètres, 9 000 habitants tout au plus et une capitale, Yaren, peuplée de 700 âmes seulement. Ce minuscule atoll aux marges des cartes aurait pu connaître le sort anonyme d’un pays sans histoire. Pourtant son destin édifiant peut se lire comme une parabole des temps modernes.
Nauru a bénéficié d’une bénédiction qui s’est révélée être, au fil du temps, une malédiction : l’île produit l’un des phosphates les plus purs au monde qui fut longtemps exploité et exporté, garantissant aux Nauruans, indépendants depuis 1968, un revenu par habitant parmi les plus élevés de la planète. Mais cette manne a été mal gérée. Les dividendes du phosphate ont été investis à tort et à travers par des magiciens de la finance peu scrupuleux, souvent de connivence avec une classe politique incompétente voire malhonnête : une compagnie aérienne surdimensionnée au service d’un projet politique mégalomane entendant faire de Nauru le « hub du Pacifique », des investissements ostentatoires dans des complexes immobiliers en Australie ou aux États-Unis… Pendant ce temps, les Nauruans ont vu leurs conditions de vie évoluer pour le meilleur mais aussi pour le pire : ils sont devenus si riches qu’ils n’ont plus eu besoin de travailler ; l’État pourvoyait à tout ; tout était importé depuis l’alimentation de base (Nauru n’a aucune agriculture) jusqu’aux 4x4 flambant neufs.
Le réveil est brutal lorsque les réserves de phosphate s’épuisent dans les années 1990. La gestion hasardeuse de sa richesse n’a pas laissé un sou vaillant et Nauru doit s’endetter pour maintenir un niveau de vie qu’elle ne parvient pas à réduire. Abrutis par un hyper-consumérisme aliénateur, les habitants de Nauru ont oublié leurs traditions et perdu le goût de travailler. Ils souffrent d’un diabète généralisé (Nauru connaît le taux d’obésité le plus élevé au monde) qui met en péril jusqu’à la survie démographique de cette société. Enfoncé dans une détresse économique profonde, le micro-État tente de monnayer les rares atouts que lui confère sa souveraineté internationale au point de se transformer quasiment en « État voyou ». Nauru devient un paradis fiscal placé sur la liste noire du Groupe d’action financière (GAFI) ; il vend à l’encan sa citoyenneté (deux terroristes liés à Al-Qaïda sont arrêtés en 2002 avec des passeports nauruans). Il obtient un prêt du Japon en échange de sa voix à la Commission baleinière internationale (CBI), noue au grand dam de Pékin des relations diplomatiques avec Taipei au moment de son entrée à l’Organisation des Nations-unies en 1999 et accepte, à la demande de Canberra, d’accueillir des boat people qui tentaient de se réfugier en Australie.
Contrairement à ce que laisse entendre le sous-titre inutilement racoleur : « Comment la civilisation capitaliste a anéanti le pays le plus riche du monde », le capitalisme n’est pas le seul responsable de la triste destinée de Nauru. L’histoire de ce petit atoll est avant tout celle d’une minuscule communauté incapable de prendre son destin en main, quelque part entre Robinson Crusoé et Sa Majesté des Mouches. Comme l’a magistralement exposé Jared Diamond dans Effondrement (Gallimard, 2006), la question pour les Nauruans et, à travers eux, pour l’ensemble de l’humanité est de savoir « comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie ».