See English version below « Ça s’est passé comme ça ». Ceci...
Mourir pour le yuan. Comment éviter une guerre mondiale ?
Jean-Michel Quatrepoint Paris, François Bourin, 2011, 280 p.
Avec un titre volontairement provocateur, Jean-Michel Quatrepoint, journaliste et économiste, nous présente dans Mourir pour le Yuan une analyse critique de la mondialisation actuelle.
Il rappelle que la première mondialisation, qui avait débuté en 1860, s’était terminée par la Première Guerre mondiale. Au xixe siècle, mettant en pratique la théorie des avantages comparatifs, les nations industrialisées – au premier rang desquelles l’Angleterre – importent des matières premières qu’elles transforment et réexportent, le commerce international explose, les mouvements migratoires s’accélèrent et des capitaux sont massivement transférés vers les pays « émergents » de l’époque (Russie, États-Unis, Moyen-Orient). Victime de son succès, non régulée et profondément déséquilibrée, la première mondialisation a dramatiquement échoué. Or, constate l’auteur, la mondialisation actuelle présente de nombreuses similitudes avec la première. Les mêmes erreurs (déséquilibres, financiarisation excessive, manque d’instruments de gouvernance…) et les mêmes conséquences négatives (paupérisation et montée des inégalités) sont aujourd’hui à l’œuvre. Conduira-t-elle aux mêmes catastrophes : montée des extrémismes, implosion sociale et nouvelle guerre ? L’interdépendance n’empêche pas les conflits, bien au contraire.
J-M. Quatrepoint livre ensuite une analyse pertinente des causes et des conséquences de la crise qui a débuté en 2008, aux États-Unis, avec la faillite de Lehman Brothers. Il décrypte la stratégie mercantiliste des « gagnants de la mondialisation » (p. 17), la Chine et l’Allemagne, et les causes du déclin américain. On lira avec grand intérêt les chapitres consacrés à la Chine, cet empire qui refusa d’entrer dans la première mondialisation, fut humilié et mis « à genoux par les guerres de l’opium » (p. 21) et qui tient aujourd’hui sa revanche. J-M. Quatrepoint indique très justement qu’il est « impossible de comprendre ce qui se passe en Chine aujourd’hui sans se référer [aux événements du] xixe siècle », que les « Occidentaux ont gommé[s] de leur mémoire » (p. 12). L’auteur décrypte comment la Chine a su tirer parti de son intégration dans la mondialisation et profiter de la crise pour « acquérir le maximum (…) de puissance, dans le minimum de temps » (p. 52). Il souligne que sa force est sa capacité d’adaptation. Le « modèle chinois » (p. 75) – synthèse « entre les trois grandes idéologies » (p. 36) que sont le nationalisme, le communisme et le capitalisme – nous interroge car il prouve que le modernisme des Lumières n’est pas « la voie unique vers la modernisation » (p. 99). L’Allemagne, présentée comme la « petite Chine » (p. 185) a, elle aussi, su profiter de la mondialisation, avec sa stratégie mercantiliste et exportatrice. Dorénavant, elle se tourne vers l’est (la Russie) et apparaît de plus en plus « égoïste » (p. 209).
Si l’épigraphe de l’ouvrage – « Il y a deux manières de conquérir une nation. L’une par l’épée. L’autre par la dette » (p. 5) – n’a peut-être jamais été citée par John Adams, l’endettement est bien devenu « l’arme fatale » (p. 103) et la principale cause de déclin des États-Unis et de l’Europe. J-M. Quatrepoint souligne les faiblesses d’un système dominé par les multinationales et la financiarisation excessive, et plaide pour un rééquilibrage de la mondialisation – une « déglobalisation progressive » (p. 18), une « autre mondialisation » (p. 237) – et un renforcement du rôle des États et de l’Europe. Après avoir décrypté les modèles des gagnants de la mondialisation, l’auteur déplore que nous ayons, de notre côté, perdu toute « stratégie de puissance » (p. 242).
Cet ouvrage, documenté, clair et percutant, démontre l’urgence d’une prise de conscience et d’une réaction politique face aux déséquilibres internationaux. Par une mise en perspective historique, une analyse des forces et des faiblesses des différents acteurs, une liste de propositions et de pistes de réaction face aux déséquilibres croissants, cet essai nous invite à réagir. Plus que le succès du modèle chinois, c’est notre propre incapacité et notre absence de vision qu’il faut blâmer. La Chine a su tirer parti de la mondialisation, il nous revient, à nous, Français et Européens, de définir notre propre stratégie. Loin des fantasmes habituels et des clichés, cet essai est un constat sans appel.