Moscou et le monde. L’ambition de la grandeur : une illusion ?
Anne de Tinguy (sous la dir.) Paris, CERI/Autrement, 2007
Analyser les ressorts de la nouvelle posture russe en matière de politique étrangère, mesurer la réalisation des ambitions extérieures affirmées par Moscou et cerner les défis extérieurs que doit relever la Russie, tels sont les objectifs de l’ouvrage dirigé par Anne de Tinguy. À l’heure où le « retour » de la Russie sur la scène internationale, souvent associé à la tonalité anti-occidentale des discours de Vladimir Poutine, reçoit un large écho dans les médias, Moscou et le monde a le grand mérite d’interroger le projet de puissance russe en se plaçant dans un registre encore trop peu exploité.
Pour chacune des thématiques évoquées, l’ouvrage met en lumière le décalage entre les nouvelles ambitions de grandeur affichées par la Russie et les réalisations effectives de sa diplomatie. La confiance retrouvée sur la scène internationale est incontestablement à porter au crédit de la présidence Poutine. Elle s’appuie sur une économie en plein essor qui permet à la Russie de peser sur le plan international. Vladimir Poutine a ainsi rendu leur fierté aux Russes, humiliés dans les années 1990 par la faiblesse de leur État et les revers de leur diplomatie. Cependant, cette nouvelle assurance masque deux défaillances étroitement liées. La Russie n’a pas su comprendre les évolutions politiques de ses ex-satellites (élargissement de l’OTAN, révolutions de couleurs) ; la révolution orange en Ukraine est symptomatique de ses difficultés à « sortir de l’Empire ». Faute de savoir s’adapter, Moscou a, au fil du temps, raidi ses positions et privilégié une politique fondée sur les rapports de forces, d’autant que l’augmentation du prix des hydrocarbures lui en donne désormais les moyens. La Russie semble aujourd’hui enfermée dans une logique de conflictualité dans son partenariat avec l’Union européenne comme dans son rapport aux États-Unis. Parallèlement, elle n’a pas réussi à développer de nouveaux partenariats durables : ses relations avec la Chine ne sont pas dénuées de méfiance et ses liens avec le monde arabo-musulmans restent superficiels. Vladimir Poutine a certes permis à son pays d’apaiser le syndrome douloureux de la perte de puissance et d’être davantage présent sur la scène internationale. Mais, en faisant le choix d’une logique d’opposition plutôt que celui d’une force de proposition, il ne lui a pas permis d’être véritablement influent. Au total, la confiance revendiquée par le Kremlin dissimule à la fois de réelles vulnérabilités (notamment sur le plan économique) et l’incapacité à abandonner des schémas hérités de la période soviétique pour développer un modèle russe d’attractivité, capable de concurrencer ceux des États-Unis ou de l’Union européenne.