Milieux criminels et pouvoir politique les ressorts illicites de l’État
Jean-Louis Briquet, Gilles Favarel-Garrigues Paris, Karthala, coll. « Recherches internationales », 2008, 318 p.
Cette série de contributions a pour grand mérite d’apporter une réponse solide à la théorie catastrophiste du complot, développé dans certains milieux de la recherche anglo-saxonne et qui tend à définir l’existence d’un vaste mouvement de conquête par le crime transnational. Au fil des études, on comprend que le milieu des « entrepreneurs de violence » est loin d’affirmer une emprise pérenne et croissante sur un monde en voie d’affaiblissement ou d’effondrement. Il prospère plutôt sur les failles de la démocratie, ou pendant les périodes de transitions. Il est favorisé par la faiblesse d’États du Sud, mais peut aussi profiter, dans les États forts, d’un monopole de la sécurité qui lui permet d’accéder à certains commerces illicites.
La complexité, la fluctuation et les renversements de situation marquent donc cet univers. Les politologues tentent de définir ces phénomènes – comme avec le concept de shadow state – mais les auteurs nous mettent en garde contre des schémas réducteurs et surtout figés. L’exemple de la Russie et de la Bulgarie montre que la criminalisation de la vie politique, par collusion entre l’administration, les élus et les milieux d’affaires ne peut survivre indéfiniment : les groupes criminels doivent s’adapter face à la reprise en main par le pouvoir soit du fait des contraintes de la communauté internationale (intégration européenne et FMI pour la Bulgarie), soit d’un projet de puissance qui refuse l’affaiblissement du système économique par des opérateurs qui lui échapperaient (Vladimir Poutine).
En revanche, là où la culture de l’État est embryonnaire ou en fort déclin, l’illicite prospère et s’enracine plus facilement sur des institutions faibles auxquelles il fournit les ressources que le sous-développement leur interdit. Cette « hybridation de l’État et du crime » apparaît bien souvent comme une revanche de régions du monde abandonnées par la croissance de l’économie mondiale, et comme un nouveau branchement sur les circuits d’échanges.