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Migrations en Méditerranée
Par Camille Schmoll, Hélène Thiollet et Catherine Wihtol de Wenden (dir.) - Paris, CNRS Éditions, 2015, 382p.
Dans l’imaginaire populaire, les migrations en Méditerranée se présentent spontanément sous un mode misérabiliste et sensationnaliste : le cadavre du petit Eylan sur le rivage turc, les pateras surchargées de migrants subsahariens au large des côtes espagnoles, l’espace Schengen qui se claquemure derrière des fils barbelés, etc. Sans rien nier de cette dimension tragique, les actes du colloque « Le modèle migratoire méditerranéen dans la tourmente », qui s’est tenu à Rome en mai 2014, restituent l’espace, le système et le régime migratoire méditerranéen dans toute sa complexité, loin des idées reçues.
La première erreur serait de considérer la Méditerranée comme un espace homogène. Bordée de 20 États, elle est en fait constituée de trois ensembles aux profils migratoires très différents : l’ensemble Maghreb-Europe occidentale, avec en première ligne l’Espagne et l’Italie, qui accueillent des migrants maghrébins et subsahariens ; l’ensemble balkanique, où se mêlent migrations intra et extra-européennes via la Turquie et la Grèce ; l’ensemble proche-oriental, qui connaît sur la longue durée des flux de réfugiés massifs : Palestiniens, Irakiens, Syriens, etc.
La deuxième erreur serait la symétrie exacte de la première : refuser de considérer l’espace méditerranéen dans son unité. Car les trois espaces qui constituent la Méditerranée ne sont pas étanches les uns aux autres. Lorsqu’une route se ferme, les passeurs en ouvrent une autre. Lorsque la Libye de Mouammar Kadhafi empêche l’émigration, les flux se reportent à l’Ouest vers l’Espagne ; lorsque l’Espagne parvient à endiguer l’arrivée des cayucos du Sénégal, les flux se reportent à l’Est. Cette adaptabilité des réseaux condamne par avance la réponse sécuritaire à l’échec : le renforcement de contrôle sur tel ou tel point de la frontière européenne n’aura d’autre effet que de reporter la pression sur le point le plus faible.
La troisième erreur est sociologique. Elle consiste à assimiler la foule des émigrés à une masse indéterminée, poussée à l’exode par la misère économique et / ou la répression politique. Or les plus pauvres n’émigrent pas, faute d’avoir les ressources – financières, relationnelles – pour le faire. Le profil type de l’émigré est un jeune diplômé, sans opportunité professionnelle dans son pays, en quête d’une vie meilleure au Nord de la Méditerranée, où le PIB par habitant est 14 fois plus élevé qu’au Sud. A-t-il joué un rôle dans l’éclatement des printemps arabes ? Réconciliant les catégories exit et voice (Albert O. Hirschman, Exit, Voice and Loyalty, Harvard University Press, 1970), Nicholas Van Hear suggère dans sa postface que ces émigrés ont d’une part, par leur défection, signé l’échec des régimes autoritaires nord-africains à donner du travail aux jeunes générations et d’autre part, via leur prise de parole sur les réseaux sociaux, semé le grain de la révolte dans l’espace social.
La dernière erreur serait de réduire les échanges migratoires à leur seule dimension Sud-Nord. Les contributions de cet ouvrage collectif évoquent des flux Sud-Sud ou Nord-Sud ignorés mais bien réels. Leur multiplication contribue à brouiller les cartes. Les pays du Maghreb, par exemple, ne sont pas seulement des pays d’émigration, mais aussi des pays d’immigration et de transit – Mehdi Alioua dénonce avec justesse l’usage de ce terme et lui préfère celui « d’étape ». Il en est de même pour la Turquie, dont on perçoit aujourd’hui le rôle crucial – et qu’elle instrumentalise – dans le régime migratoire européen. Ces pays sont une terre de départ pour leurs propres ressortissants « brûleurs de frontières » et pour des étrangers qui ont fait étape plus ou moins longtemps sur leur territoire. Mais ils doivent aussi se penser, non sans mal, comme une terre d’accueil : pour des populations d’Afrique subsaharienne ou du Moyen-Orient qui souhaitent – mais pas toujours – gagner l’Europe, pour des émigrés illégaux réadmis en vertu d’accords bilatéraux, voire pour des Européens, binationaux ou pas, à la recherche de leurs racines ou d’une retraite ensoleillée.
La première erreur serait de considérer la Méditerranée comme un espace homogène. Bordée de 20 États, elle est en fait constituée de trois ensembles aux profils migratoires très différents : l’ensemble Maghreb-Europe occidentale, avec en première ligne l’Espagne et l’Italie, qui accueillent des migrants maghrébins et subsahariens ; l’ensemble balkanique, où se mêlent migrations intra et extra-européennes via la Turquie et la Grèce ; l’ensemble proche-oriental, qui connaît sur la longue durée des flux de réfugiés massifs : Palestiniens, Irakiens, Syriens, etc.
La deuxième erreur serait la symétrie exacte de la première : refuser de considérer l’espace méditerranéen dans son unité. Car les trois espaces qui constituent la Méditerranée ne sont pas étanches les uns aux autres. Lorsqu’une route se ferme, les passeurs en ouvrent une autre. Lorsque la Libye de Mouammar Kadhafi empêche l’émigration, les flux se reportent à l’Ouest vers l’Espagne ; lorsque l’Espagne parvient à endiguer l’arrivée des cayucos du Sénégal, les flux se reportent à l’Est. Cette adaptabilité des réseaux condamne par avance la réponse sécuritaire à l’échec : le renforcement de contrôle sur tel ou tel point de la frontière européenne n’aura d’autre effet que de reporter la pression sur le point le plus faible.
La troisième erreur est sociologique. Elle consiste à assimiler la foule des émigrés à une masse indéterminée, poussée à l’exode par la misère économique et / ou la répression politique. Or les plus pauvres n’émigrent pas, faute d’avoir les ressources – financières, relationnelles – pour le faire. Le profil type de l’émigré est un jeune diplômé, sans opportunité professionnelle dans son pays, en quête d’une vie meilleure au Nord de la Méditerranée, où le PIB par habitant est 14 fois plus élevé qu’au Sud. A-t-il joué un rôle dans l’éclatement des printemps arabes ? Réconciliant les catégories exit et voice (Albert O. Hirschman, Exit, Voice and Loyalty, Harvard University Press, 1970), Nicholas Van Hear suggère dans sa postface que ces émigrés ont d’une part, par leur défection, signé l’échec des régimes autoritaires nord-africains à donner du travail aux jeunes générations et d’autre part, via leur prise de parole sur les réseaux sociaux, semé le grain de la révolte dans l’espace social.
La dernière erreur serait de réduire les échanges migratoires à leur seule dimension Sud-Nord. Les contributions de cet ouvrage collectif évoquent des flux Sud-Sud ou Nord-Sud ignorés mais bien réels. Leur multiplication contribue à brouiller les cartes. Les pays du Maghreb, par exemple, ne sont pas seulement des pays d’émigration, mais aussi des pays d’immigration et de transit – Mehdi Alioua dénonce avec justesse l’usage de ce terme et lui préfère celui « d’étape ». Il en est de même pour la Turquie, dont on perçoit aujourd’hui le rôle crucial – et qu’elle instrumentalise – dans le régime migratoire européen. Ces pays sont une terre de départ pour leurs propres ressortissants « brûleurs de frontières » et pour des étrangers qui ont fait étape plus ou moins longtemps sur leur territoire. Mais ils doivent aussi se penser, non sans mal, comme une terre d’accueil : pour des populations d’Afrique subsaharienne ou du Moyen-Orient qui souhaitent – mais pas toujours – gagner l’Europe, pour des émigrés illégaux réadmis en vertu d’accords bilatéraux, voire pour des Européens, binationaux ou pas, à la recherche de leurs racines ou d’une retraite ensoleillée.