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Note de lecture

Mémoires

Alexandre Tuaillon / Printemps 2011

Tony Blair Albin Michel, 2010, 802 p.

Il fallait bien 800 pages à Tony Blair, pour évoquer les dix années passées à la tête du gouvernement britannique. Mettant fin à la domination conservatrice Thatcher-Major de dix-huit années, l’inventeur du concept de « New Labour » a tenu à délivrer « sa part de vérité ». Un exercice indispensable, tant l’image d’Anthony Charles Lynton Blair au moment où il quitte le pouvoir le 27 juin 2007 est en contraste avec celle du jeune leader audacieux et talentueux s’installant au 10 Downing Street un soir de mai 1997. C’est sous les huées des opposants à la guerre d’Irak qu’il quitte ses fonctions, laissant la place à son rival de toujours, Gordon Brown.
Blair revient sur les réformes de fond qu’il a menées avec plus ou moins de difficultés dans son pays : santé publique, droits d’inscription à l’université, politique de sécurité intérieure. L’essentiel de l’ouvrage est évidemment consacré à l’action gouvernementale sur le plan national. Les relations fluctuantes avec les syndicats, la réforme et le redéploiement des services publics britanniques après des années de libéralisme thatchérien. Blair s’inscrit dans le « collectif », chaque collaborateur, chaque élu du Parlement a le droit à sa petite citation, faisant du livre un véritable « Who’s Who » de la vie politique britannique de la période. Les éloges sont nombreux, tous les personnages rencontrés ont été « formidables », « exceptionnels », « injustement calomniés ». Les « médiocres » n’ont, semble-t-il, jamais croisé la route de l’ancien Premier ministre.
Mais ce qui semble occuper le plus son quotidien, c’est bien sa lutte permanente avec Gordon Brown. Avec près de 200 références dans le livre, Brown revient en moyenne toutes les quatre pages. Blair lui reconnaît l’intelligence et la maîtrise parfaite des enjeux économiques. Mais il souligne le caractère néfaste du personnage, qui s’appuie tantôt sur des médias amis, tantôt sur de fidèles parlementaires pour tenter de bloquer, de contrer, de ralentir l’action du gouvernement auquel il appartient mais qu’il ne dirige pas. Le Chancelier de l’Échiquier n’acceptera une trêve qu’après un dîner en tête-à-tête avec son « ennemi de l’intérieur », au cours duquel ils décident ensemble de la stratégie de passation de pouvoir. Mais très rapidement, les « circonstances » et les élections qui approchent incitent Blair à se raviser : Brown ne peut pas faire gagner les travaillistes. Le pacte implose et Blair décide – contre son gré, mais pour la nation – de rester à sa place. La guerre d’usure est lancée, les rivalités se feront moins sourdes. En juin 2007, Brown finira enfin par obtenir ce qu’il convoite depuis si longtemps, mais son succès sera de courte durée.
Sur le plan interne et international, Blair commençait plutôt bien. La paix arrachée en Irlande du Nord, après des décennies de violences, aurait pu lui garantir une place aux côtés des plus grands Premiers ministres de l’histoire britannique. Mais, curieusement, il s’attarde assez peu sur cette victoire, se contentant de raconter la marche vers ce moment historique par le petit bout de la lorgnette (il faisait chaud, on mangeait peu, c’était dur). Les étudiants en science politique devront chercher d’autres sources d’information pour étayer leurs thèses sur le processus de paix en Irlande du Nord !
Évidemment, après le 11-septembre et davantage que l’Afghanistan, c’est l’Irak qui occupe le plus Tony Blair. Bien sûr, il pleure les morts d’Irak, et les droits de son livre iront à une association de victimes du conflit. Mais au fond, il ne regrette rien. Ceux qui lui reprochent d’avoir foncé tête baissée dans ce conflit ne comprennent rien, ils n’avaient pas les bonnes informations, ils sous-estimaient grandement les risques que Saddam Hussein faisait peser sur le monde, ils n’ont aucune humanité envers les milliers de victimes du bourreau de Bagdad. Si Blair ne nie pas que la situation irakienne après l’intervention américano-britannnique n’est pas meilleure, il tient à rappeler qu’elle a permis de débarrasser le monde d’un dictateur et que là est l’essentiel. L’argument demeure un peu faible, et l’on devine que l’heure n’est pas à la repentance pour l’auteur.
Les attentats de New York, de Londres, les conflits en Irak et en Afghanistan sont autant d’occasions pour Blair de chanter les louanges de son « ami » George W. Bush, un homme brillant et courageux, injustement brocardé. Jacques Chirac figure également en bonne place. Si Blair ne lui pardonne pas la position de la France sur le conflit irakien, il lui reconnaît une stature incontestable de chef d’État, et une vraie capacité de conviction.
L’Europe n’est en tant que telle pas traitée dans un chapitre particulier. Abordée aux détours de réformes intérieures ou d’enjeux électoraux, Blair ne s’y attarde pas. Se déclarant « résolument européen », il luttera pour que son parti ne tourne pas le dos à la construction européenne. Expliquant l’euroscepticisme bien ancré au sein de la société britannique, la réponse de Blair se veut simple même s’il accepte d’en reconnaître l’absurdité : « notre problème avec l’Europe c’est que nous ne l’avions pas inventée, du moins n’en étions-nous pas les membres fondateurs » (p. 604). Si Blair rappelle volontiers son rôle actif dans le processus de Lisbonne et dans la création de l’euro, il ne cache pas que le refus de prendre part à la monnaie unique relevait à la fois tant de circonstances intérieures que du flou autour du projet économique de l’Europe.
S’il est un dossier sur lequel le futur représentant du Quartet ne s’appesantit pas, c’est bien le conflit israélo-palestinien. Dans l’euphorie de son début de mandat, Blair laisse supposer qu’il pourra s’appuyer sur son expérience nord-irlandaise pour agir au Moyen-Orient. Mais avec l’expérience du pouvoir, il finit par penser à autre chose. Évoquant la guerre israélo-libanaise, Blair s’arrête quelques instants sur le conflit israélo-palestinien pour en arriver à la conclusion que « si la situation en Israël et en Palestine est un puissant ferment de frictions et de conflits, la cause est à trouver dans les divergences religieuses » (p. 677). Et de proposer une méthode usée jusqu’à la corde pour résoudre le conflit israélo-palestinien : faire un usage mixte entre le hard power et le soft power, et de renvoyer la responsabilité première à la « lutte plus profonde, plus large qui affectait le Moyen-Orient et l’islam dans leur ensemble » (p. 679).

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