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Marchés criminels. Un acteur global
Mickaël R. Roudaut Presses Universitaires de France, 2010, 286 p.
Mickaël Roudaut livre ici une étude claire et structurée des différentes facettes du crime international, qui correspondent en réalité à autant de « marchés criminels », dont l’ampleur est souvent méconnue. Dès les premières pages, M. Roudaut présente la vision qui anime son analyse, pour laquelle il revendique une certaine originalité.
La démarche adoptée par l’auteur s’attache à illustrer à quel point l’expression « marchés criminels » est pertinente. En effet, si les domaines concernés se prêtent, malgré leur grande diversité, à une analyse commune, c’est précisément parce que, selon l’auteur, le comportement des différentes organisations criminelles est « simplement guidé par un arbitrage entre rentabilité d’un trafic et son risque pénal ». Aussi « le crime organisé, d’essence polycriminelle, ne se limite [-t-il] pas à une mono-activité, mais embrasse le vaste spectre de l’illicite ». La vision d’ensemble adoptée par l’auteur pour examiner leurs activités dessinerait alors selon lui une « géopolitique de l’illicite, à mi-chemin entre la géopolitique et la criminologie ».
Ce postulat initial conduit M. Roudaut à privilégier une analyse des flux illicites. Il s’attache à mettre en évidence les liens entre ces différents trafics ou marchés criminels, de la traite de personnes à la criminalité environnementale en passant par la contrefaçon, les trafics de drogues, d’armes ou encore la traite de personnes. Ainsi la criminalité environnementale (pillage de ressources naturelles par exemple) constituerait-elle tout à la fois un secteur lucratif et un outil de blanchiment. M. Roudaut ne cède pas pour autant à l’illusion d’une pieuvre criminelle tentaculaire. Au contraire : son étude suggère l’implication d’une multitude d’acteurs criminels dans ces trafics. Mais elle suggère aussi que leur identité individuelle importe peut-être moins que les réseaux qu’ils animent et les « maillages corrupteurs » qui se développent pour les perpétuer.
Nombre d’indicateurs chiffrés émaillent l’analyse des marchés criminels, qui permettent de mieux appréhender le développement considérable du volume financier de ces derniers depuis une vingtaine d’années. Cet essor s’accompagne en fait d’une transformation souvent profonde sous forme d’« industrialisation » des réseaux criminels. La réactivité dont attestent leurs évolutions témoigne d’un grand opportunisme commercial, qui confirme au passage l’internalisation des lois du marché par les organisations criminelles. Or les fonds générés par les filières criminelles n’y restent pas cantonnés, mais sont ou bien réinjectés dans l’économie légale, ou bien utilisés pour subvertir de nouvelles autorités publiques.
L’auteur s’efforce en effet au fil de son analyse de mettre en évidence les perturbations géopolitiques induites par ces flux. La grille de lecture originale que revendique M. Roudaut présente à cet égard un intérêt certain. Elle permet d’articuler l’incidence du crime organisé sur les relations internationales en s’appuyant sur l’apport de la criminologie, essentielle pour saisir les mécanismes et ressorts de ces acteurs. Cet ouvrage prétend donc consacrer « un nouveau paradigme, potentielle grille de lecture internationale, fait d’États « fonctionnels », capables de contenir la puissance criminelle en-deçà d’un seuil relevant de l’acceptable et les autres, d'abord corrompus, puis concurrencés et parfois captifs, aux mains d’un crime organisé érigé en modèle alternatif de développement ». Si ces propos semblent ambitieux, l’approche esquissée dans ce livre mérite assurément d’être approfondie, et constitue une réelle avancée dans la manière d’appréhender la criminalité organisée comme acteur géopolitique.
De même, la réflexion lucide amorcée en fin d’ouvrage sur les manières de contrer ou d’endiguer ce phénomène demande à être approfondie, mais reste intéressante puisqu’elle prend en compte les limites de l’action répressive seule. Dès lors que les flux illicites sont des marchés, il convient d’agir non seulement sur l’offre (par la répression des acteurs et activités criminels) mais aussi sur la demande (la consommation des produits illicites). Surtout, pour espérer affaiblir la puissance des réseaux criminels, il importe de trouver des moyens de réduire le ratio rentabilité élevée / risque faible.