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Manger local, manger global, l’alimentation géographique
Gilles Fumey Paris, CNRS éditions, 2010, 160 p.
« Si les hommes sont de plus en plus mobiles et installés à la fois, alors l’identité véhiculée par l’alimentation géographique permet de comprendre comment ils régulent ces spatialités multiples. Elle est donc un caractère fort de l’homme moderne. Mais plus que cela, elle est l’une des racines de notre esthétique environnementale et, à ce titre, elle prend une dimension écologique et politique » (p. 129). L’espace géographique, tant comme une réalité que comme un véhicule symbolique des sensations, est à la base de notre choix alimentaire.
Gilles Fumey, chercheur au CNRS et professeur à l’université Paris-Sorbonne, analyse ici la culture et les habitudes culinaires dans le monde globalisé d’aujourd’hui, sous un angle bien défini : la géographie. Ce livre cherche donc à donner des paramètres de jugement et de classement pour la construction d’une sociologie et d’une géopolitique de l’alimentation à partir de la conception d’espace « local » et « global ». L’ampleur du sujet et son interdisciplinarité ne lui permettent pas malheureusement d’entrer dans l’analyse des cas spécifiques ni de suivre un cas pratique et paradigmatique pour clarifier ses concepts, qui restent donc assez théoriques. Toutefois, la bibliographie très fournie et détaillée sera la bienvenue pour les spécialistes de la question.
Le premier chapitre est dédié à l’histoire de la discipline, c’est-à-dire à l’attention pour l’alimentation dans le cadre de l’analyse sociologique et géographique, qui commence véritablement en 1943 avec l’ouvrage de Max Sorre Fondements biologiques de la géographie humaine, et se développe particulièrement après la Seconde Guerre mondiale avec Roger Dion, Pierre Gourou, Jean-Pierre Poulain et Jean-Michel Berthelot.
Le livre s’occupe ensuite des grandes cultures alimentaires dans le monde, avec une attention particulière à l’environnement et à l’histoire-géographie des aliments à travers leurs migrations. La manière de préparer, cuire et servir les aliments a été influencée pendant des siècles par des interdictions religieuses et médicales, des traditions culinaires et des rencontres de peuples. « Les diététiques des grandes civilisations agricoles montrent que l’alimentation est toujours au centre des pratiques médicales de la Chine ou de l’Antiquité occidentale » (p. 37).
L’étude de l’espace géographique est également effectuée par rapport aux dénominations d’origine contrôlée et à tous les contrôles de qualité mis en place par les gouvernements pour offrir aux consommateurs une garantie de sécurité ainsi que pour marquer chaque produit avec une identification bien précise. Le lieu de provenance d’un aliment a des effets sur les choix des acheteurs et sur les émotions qu’il est censé provoquer. « Ce que nous mangeons est qualifié au travers des représentations collectives associées aux toponymes et aux marques. Ce sont des délégations de confiance qui s’incarnent dans la publicité sélective, le mécénat, les événement publics, les jugements sociaux » (p. 90).
Le livre aborde enfin le concept de « bio », particulièrement à la mode aux États-Unis : là bas, il y a un de taux de croissance de production biologique et fermière parmi les plus élevés au monde. Au bio est souvent liée l’idée d’une éthique alimentaire, introduite par Carlo Petrini, fondateur de Slow Food : son mouvement repose sur l’idée de réévaluer la culture de la bonne nourriture, saine et locale, contre « l’invasion » de la science et de la technique dans toutes les sphères de la production alimentaire.
Le livre donne donc un panorama de toutes les questions, de nature sociologique et géopolitique, liées à l’alimentation et à la culture culinaire, notamment dans la période contemporaine. Il s’achève avec l’espoir de consommateurs décidant d’avoir une approche plus consciente de l’importance de la géographie dans les enjeux alimentaires de la planète.