Dans cet ouvrage, Hervé Kempf estime que l’oligarchie a disparu de la conscience politique mais qu’elle exerce un pouvoir invisible au-delà des changements électoraux et de la liberté de la presse. Les élites précédentes avaient une conscience de leurs devoirs et de leurs obligations. L’oligarchie actuelle estime avoir tous les droits. Selon Hérodote, l’oligarchie se justifiait par le fait de placer au pouvoir les plus vertueux ; aujourd’hui, les puissants visent avant tout la conservation de leur puissance. L’argent devient le principal signifiant de la réussite sociale.
Jacques Séguéla n’a pas compris qu’il pouvait y avoir des gens qui n’avaient pas une Rolex à cinquante ans. « Le plus significatif dans le propos du publicitaire est ce " tout le monde " qui désigne ses pairs, ceux de son monde. Les autres, c’est-à-dire le peuple, les manants n’existent pas », souligne Kempf.
Selon lui, le capitalisme a pris un virage en 1980, date à partir de laquelle l’inégalité s’est accrue de manière constante dans tous les pays occidentaux. Après plusieurs décennies au cours desquelles la distribution des revenus est restée stable, le groupe des « très riches »a fait croître sa part des revenus beaucoup plus rapidement que l’ensemble de la société mais également beaucoup plus rapidement que les 10 % de « riches ». Cette inégalité s’est en effet accrue globalement aussi au sein du groupe des « riches » à partir des années 1980. Aux États-Unis, les 1 % des très riches ont vu leur part du revenu national passer de 8 % à 16 %, au début des années 2000, les revenus des 10 % de riches passant de 25 à 27 % seulement. Au sommet de la société s’est dépêché un groupe cohérent qui suit une logique propre en termes de pouvoir comme de mode de vie.
Une variante du « rapport décomplexé » - selon l’expression en cours - entre la politique et l’argent permet de placer des milliardaires aux pouvoirs tels Silvio Berlusconi en Italie ou Piñera au Chili. Le gouvernement britannique dirigé par M. Cameron compte, quant à lui, 18 millionnaires parmi ses 23 membres.
Fini le clivage fondamental qui en démocratie sépare le domaine public, l’intérêt général et le domaine privé relatif aux intérêts privés, par ailleurs légitime. En oligarchie, la coupure est horizontale, elle se situe entre les membres du sommet de la pyramide et le corps social.
Hervé Kempf dénonce ceux qui se mettent au service de l’État pour pouvoir, après un passage provisoire, mettre à profit leurs connaissances acquises pour faire fortune. Il cite Dominique Strauss-Kahn auquel Pierre Moscovici demande ce qu’il pense de l’inspection des finances « C’est la meilleure business school française, vous y restez quatre ans et vous gagnez plein de fric ».
L’auteur par ailleurs évoque le cas de Mathieu Pigasse, l’un des trois propriétaires du quotidien Le Monde – où il est journaliste –, ayant travaillé successivement avec Dominique Strauss-Kahn, qu’il qualifie de pionnier moderne du trafic d’influence (p. 59) et Laurent Fabius, et ayant fait ensuite fortune à la banque Lazard après avoir orchestré la série de privatisation menée par le gouvernement Jospin.
Hervé Kempf estime que l’oligarchie dépouille au fur et à mesure l’État de ses recettes et de ses capacités de régulation au sein de l’industrie financière. Les entreprises qui avaient pris les risques les plus inconsidérés, ayant conduit à la crise du système financier, étaient celles qui avaient réalisé les dépenses de lobbying les plus élevées. Aux États-Unis, le coût moyen d’un siège à la chambre des représentants est de 1,1 million de dollars, au Sénat 6,5 millions ; les plus riches l’emportent. Élections et oligarchie peuvent aller de pair. On passe du citoyen rationnel au consommateur manipulé.
« La télévision, écrit-il, principal moyen d’information, présente dans la vie quotidienne de la quasi-totalité des habitants des pays développés, continue ce formatage. » Plus important encore que ce dont elle parle, c’est ce qu’elle tait. Les intellectuels et experts qui s’expriment dans Politis, Le Monde diplomatique sont rarement invités dans les débats télévisés. Des thèmes semblent interdits d’expressions argumentées dans les grands médias : la dénonciation du capitalisme, l’ampleur des inutilités, la contestation de la croissance, la mise en cause du régime policier...
En conclusion, et dans la mesure où tout le monde ne pourra pas consommer comme les Occidentaux, du fait du développement économique et de la préservation de l’environnement et qu’on ne parviendra pas à repenser la croissance, il faut que les Occidentaux acceptent de modifier et de réduire leur consommation.