L’islam sera spirituel ou ne sera plus
Éric Geoffroy Paris, Le Seuil, 2009
Le titre fait penser à une prédiction alors qu’il s’apparenterait plus à une mise en garde adressée à ceux parmi les exégètes de l’islam qui continuent à enfermer l’islam dans le carcan des écoles de la jurisprudence. À ce propos, l’auteur est l’un des premiers islamologues à réfuter l’idée de « fermeture des portes de l’ijtihad » ou arrêt de « l’effort d’interprétation » ou de la recherche persévérante en matière d’exégèse de l’islam pour expliquer le retard pris par les pays musulmans. Il rappelle en effet que ce sont les docteurs de la foi qui ont figé cette évolution et qui sont en grande partie responsables de cette « sclérose » par leur codification du « fiqh » (droit coranique), faisant ainsi passer la « loi » par les processus raisonnés qu’elle implique avant la foi. Il conçoit volontiers que ce sont : « les formes religieuses de la sclérose qui se manifestent en climat musulman [qui] sont avant tout le résultat d’évolutions géopolitiques, culturelles et sociales. »
Cette analyse que l’on retrouvera tout au long de l’ouvrage est remarquable de clarté et de pertinence car, non seulement elle remet sur le tapis le débat jusque-là toujours esquivé sur le retard (fixisme) des sociétés islamiques mais surtout elle en attribue très clairement la responsabilité aux quatre grandes écoles juridiques (madhahib) qui ont imposé leur diktat au détriment de l’esprit même de « l’ijtihad » qui donne la primauté à l’effort individuel sur l’effort collectif.
Il en appelle donc au renouvellement de la pensée islamique grâce à l’implication de chaque croyant et non pas seulement des spécialistes. Cette rénovation de la religion passe par le dépassement du juridisme ancien et surtout par la quête de spiritualité. C’est le deuxième volet important du livre car il énumère et analyse les raisons du désintérêt des jeunes pour la spiritualité en général avant d’arriver à la conclusion que le retour progressif aux valeurs spirituelles demeure la seule réponse possible à l’angoisse de plus en plus préoccupante des jeunes face à un monde dans lequel ils ne retrouvent plus les repères nécessaires. Il renvoie dos à dos « la compréhension sclérosée de la shari’à » et « l’utopie consumériste » car l’une mène au littéralisme desséchant et peut susciter l’intégrisme religieux et l’autre à l’errance morale voire à l’intégrisme laïciste. Il fonde son analyse sur le lien indissociable entre la postmodernité qui « signe l’effondrement de la religion » et le besoin de spiritualité. Du reste, on observe que celle-ci gagne du terrain depuis l’apparition d’un islam radical, du terrorisme et de l’émergence d’un certain nombre de nébuleuses islamistes.
Enfin, le troisième volet consacré au soufisme devrait pouvoir figurer parmi les études de référence pour qui veut s’intéresser à la spiritualité en islam, connaître le sens véritable du message coranique et l’apport considérable de l’islam à la pensée universelle. Nous sommes invités à un véritable voyage dans l’univers soufi, au sein des confréries dont il lève une partie du voile. On devine assez qu’il est adepte d’une « tariqa » (voie) et on se laisse volontiers guider dans un univers où pour lui, l’ésotérisme n’est pas forcément synonyme de mystère et où la spiritualité a toujours servi dès la révélation coranique, à aider l’homme dans sa recherche de la perfection. Le long développement qu’il nous propose sur l’évolution du soufisme et sur l’attrait qu’il exerce de plus en plus sur les musulmans, mais pas seulement, nous amène à partager avec lui la réflexion au sujet de la perception que nous avons aujourd’hui de l’islam et de la nécessité de faire œuvre d’ouverture et de pédagogie pour opérer une véritable révolution au sein de la société islamique. Cette évolution ou plutôt ce renouvellement (tajdid) s’avère pour l’auteur indispensable et ne peut passer que par plus de spiritualité, condition indispensable pour la survie de l’islam. Est-ce un diagnostic ou est-ce une thérapie ? Pour l’auteur, l’islam ne peut être que spirituel et c’est pour lui la seule alternative possible.