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L’islam républicain. Ankara, Téhéran, Dakar
Jean-François Bayart Albin Michel, Paris, 2010, 426 p.
L’islam républicain naît d’une idée simple : cette association d’idées est souvent considérée comme un oxymore qu’il est bon de décortiquer pour en faire ressortir la concordance. Jean-François Bayart démontre la compatibilité de l’islam et de la République, à travers trois cas d’étude: la Turquie, l’Iran et le Sénégal.
L’islam est vu dans une acceptation plurielle et comme un élément parmi d’autres des sociétés étudiées. La République est un ensemble d’institutions et de conceptions de la citoyenneté qui contraste avec la théocratie ou l’autocratie, mais qui ne fait pas de la démocratie une condition à son existence. L’auteur cherche à montrer l’existence d’un homo islamicus republicanus pluriel. Pour y parvenir, il a recours à la sociologie historique comparée, seule capable d’analyser ces sociétés dans leur historicité singulière sans faire de l’islam l’élément cardinal.
L’ouvrage se focalise sur chacun des pays. Un des éléments centraux pour lier ces trois pays est le « passage, chacun à sa façon, de l’empire à la nation, passage dont l’islam a été un vecteur » (p. 228) (l’auteur rappelle que si le Sénégal n’était pas à la tête d’un empire, il faisait partie d’un empire). Chacun des cas d’étude est analysé de manière analogue. L’auteur étudie d’abord le développement de l’empire et la manière dont l’islam prend un rôle grandissant dans une société en mouvement. Ensuite, une fois la République instaurée, il explique comment, dans chaque cas, l’islam s’est adapté, ou a été adapté, à la situation du pays et à son évolution. En d’autres termes, comment l’islam, un outil d’analyse qui se fond dans une étude plus globale du pays s’est révélé un élément constituant de la République.
La Turquie bénéficie d’un traitement en profondeur – près de la moitié du livre. Dans sa longue étude de l’empire ottoman et de la République turque, l’auteur établit que l’islam est le « fil caché » qui relie les deux systèmes. Contrairement à l’idée reçue selon laquelle Mustafa Kemal a cherché à dépecer les institutions de leur manteau islamique, l’auteur montre comment les Jeunes Ottomansse sont en fait inscrits dans une longue durée où l’islam a servi de fondement – certes pas le seul – pour bâtir la République turque. Il analyse ainsi comment « les musulmans ont fini par endosser la République [et comment] les sécularistes se sont faits à son visage islamique » (p. 219).
Le propos sur l’Iran débute à partir de l’accession à la position de Guide suprême de l’ayatollah Khamenei en 1989 et ce que l’auteur appellera dans son chapitre « une situation thermidorienne ». C’est à partir de ce moment que s’établit un système de république islamique, qui se construit en rejet des périodes absolutistes précédentes. Ainsi l’auteur défend-il le caractère républicain des institutions iraniennes se revendiquant de l’islam en démontrant la multiplication des points de contrôle qui assurent une « balance des pouvoirs ». Il insiste également sur le rôle central du « conseil » et de l’assemblée. Bayart estime que la révolution de 1979 était autant une révolution religieuse que nationale, facilitant son propos sur l’émergence d’un islam républicain en Iran.
Le chapitre sur le Sénégal est le plus mince et le moins abouti. Dans un premier temps, l’auteur revient sur la période coloniale avant de montrer comment les confréries islamiques se sont bureaucratisées au contact de l’État colonial et de fait ont participé à l’émergence d’un État-nation. Selon lui, le contrat social sénégalais repose sur un islam moderne inscrit dans la mondialisation. Pourtant, bien que l’auteur trouve matière à parvenir à ses fins, ce court chapitre résulte probablement plus de l’expertise de l’auteur sur l’Afrique et des reproches qu’il adresse à la politique française dans la région que d’une véritable analogie entre les trois pays.